La presse et les fontes : Don Quichote dans l’imprimerie
Conférence tenue par Roger Chartier lors de la deuxième session de l'Ecole de l'Institut d'histoire du livre, septembre 2002 Roger Chartier
En 1615, l’atelier madrilène de Juan de la Cuesta imprime pour le libraire Francisco de Robles la Seconde Partie de l’Ingénieux Chevalier Don Quichotte de la Manche (Segunda Parte del Ingenioso Cavallero Don Quixote de la Mancha). Dix ans après ses premiers exploits, don Quichotte repart sur les chemins d’Espagne. Dans les chapitres LXI à LXV, Sancho et son maître se trouvent à Barcelone où Don Quichotte a décidé de se rendre, plutôt qu’aux joutes de Saragosse. Roque Guinart, le bandit de grand chemin rencontré en route, les a livrés aux jeux et moqueries de don Antonio Moreno et de ses amis. Pour éviter d’être la risée ou la victime des enfants qui suivent son cortège ridicule, don Quichotte décide d’aller à pied et sans grande escorte : « c’est ainsi qu’avec Sancho et deux autres serviteurs que lui donna don Antonio il sortit se promener. » [1]
« Or, il advint qu’en passant par certaine rue, don Quichotte leva les yeux et vit écrit sur une porte, en fort grandes lettres : Ici on imprime des livres. Il en fut tout réjoui, car il n’avait jamais vu d’imprimerie jusqu’alors, et il désirait savoir ce que c’était. » [2] Ce n’est pas la première fois qu’un récit de fiction est situé dans un atelier typographique, à preuve les histoires racontées autour de l’âtre d’une imprimerie dans Beware the Cat de William Baldwin. [3] Mais chez Cervantes la présence d’une imprimerie dans l’histoire est plus qu’un simple décor. Elle introduit dans le livre lui-même le lieu et les opérations qui rendent possible sa publication. Si le travail effectué dans les ateliers est ce qui donne existence à la fiction, dans le chapitre LXII de la Seconde Partie de Don Quichotte, les termes sont inversés puisque le monde prosaïque de l’imprimerie devient l’un des lieux grâce auxquels, comme l’écrit Borges, « Cervantes se plaît à confondre l’objectif et le subjectif, le monde du lecteur et le monde du livre. » [4]
En entrant dans l’imprimerie, don Quichotte « vit comment ici l’on tirait, là on corrigeait, là-bas on composait, ailleurs on révisait, avec tous les procédés qu’offrent les grandes imprimeries. »[5] Cervantes introduit immédiatement son lecteur à la division et multiplicité des tâches nécessaires pour qu’un texte devienne un livre : la composition des pages par les compositeurs (« componer »), la correction des premières feuilles imprimées à titre d’épreuves (« corregir »), la rectification des erreurs par les compositeurs dans les pages corrigées (« enmendar ») et, finalement, l’impression des formes, c’est-à-dire l’ensemble des pages destinées être imprimées sur le même côté d’une feuille d’imprimerie, par les ouvriers en charge de la presse (« tirar »).
L’acuité de la description du travail dans l’atelier telle que la propose Cervantes est confirmée par le premier manuel de l’art d’imprimer jamais composé en langue vulgaire, si l’on met à part la traduction allemande, publiée en 1634, de livre de Jérôme Hornschuch, Orthotypographia, paru à Leipzig en 1608. [6] Ce traité a été directement composé en castillan et imprimé en un très petit nombre d’exemplaires (deux seulement sont connus) autour de 1680 par un ouvrier typographe qui fut imprimeur à Madrid et Séville, Alonso Víctor de Paredes.[7] Dans le dixième chapitre du livre, intitulé « De la Correccion» , il distingue entre quatre types de correcteurs : les gradués des universités qui connaissent la grammaire, la théologie et le droit, mais qui, n’étant pas imprimeurs, ignorent tout des techniques du métier ; les maîtres imprimeurs qui connaissent suffisamment le latin ; les compositeurs les plus experts, même s’ils ne savent pas le latin car ils peuvent demander l’aide de l’auteur ou d’une personne instruite ; enfin, les ignorants, qui savent à peine lire, employés par les veuves des imprimeurs ou les marchands de livres qui ne sont pas imprimeurs.
Tous (sauf les derniers, trop incapables) ont les mêmes tâches. Tout d’abord, le correcteur doit repérer les erreurs des compositeurs en suivant sur les épreuves imprimées le texte de la copie originale lue à haute voix (« escuchar por el original »). Ensuite, il fait office de censeur et a l’obligation de refuser l’impression de tout livre dans lequel il découvre quelque chose prohibé par l’Inquisition ou contraire à la foi, au roi ou la chose publique (« algo prohibido por el Santo Tribunal, ò que sea, ò parezca mal sonãte contra la Fè, contra nuestro Rey, ò contra la Republica »), et ce, même si l’ouvrage a été approuvé et autorisé par souverain. Enfin, et surtout, le correcteur est celui qui donne sa forme finale au texte en lui ajoutant la ponctuation nécessaire (« la apuntuacion legitima »), en réparant les négligences (« descuidos ») de l’auteur, en repérant les erreurs (« yerros ») des compositeurs. Une telle responsabilité exige que le correcteur, quel qu’il soit, soit capable de comprendre, au-delà de la lettre de la copie originale, l’intention même de l’auteur (« entender el concepto del Autor ») de façon à la transmettre adéquatement au lecteur. [8]
Quelques années plus tard, Joseph Moxon divise cette tâche entre le compositeur et le correcteur. Pour lui, « l’ambition d’un compositeur doit être de rendre intelligible au lecteur le sens voulu par l’auteur et faire que son travail soit élégant pour l’œil et agréable pour la lecture. Si la copie est écrite dans une langue qu’il connaît, il doit donc la lire avec attention, de façon à entrer dans le sens voulu par l’auteur et, en conséquence, il doit considérer comment organiser son travail le mieux possible tant pour la page de titre que pour le corps du livre : c’est-à-dire comment distribuer les paragraphes, la ponctuation, les coupures de ligne, les italiques, etc., de la manière la plus en accord avec le génie de l’auteur et, aussi, la capacité du lecteur ». [9] Toutes les décisions prises par le compositeur sont, toutefois, soumises aux interventions du correcteur qui est également impliqué dans le processus de publication du texte dans la mesure où « il examine la ponctuation, les italiques ou les lettres majuscules mises par le compositeur, ainsi que toute faute que celui-ci a pu commettre par erreur ou par manque de jugement ».[10]
C’est d’une identique manière que l’avocat auprès du conseil du Roi, Melchor de Cabrera Nuñez de Guzmn répartit les tâches entre compositeur et correcteur dans le mémoire qu’il a rédigé en 1647 pour défendre les exemptions et immunités fiscales des imprimeurs en soutenant que l’art de l’imprimerie est un art libéral, et non pas mécanique, car dans tous ses métiers « la part intellectuelle et spéculative est très supérieure à l’opération manuelle ». [11] Pour lui, le compositeur doit « percevoir le sens, et discours ». Il doit être expert en langue castillane et il doit savoir calibrer la copie « parce que les livres ne sont pas composés dans l’ordre du texte mais par formes. » Il doit être capable de ponctuer correctement le texte « afin qu’il soit clairement intelligible », de distinguer les phrases, de mettre là où il le faut les accents, les parenthèses, les points d’interrogation et d’exclamation « parce que, souvent, l’expression des écrivains devient confuse si manque ces éléments, nécessaires et importants pour l’intelligibilité et la compréhension de ce qui s’écrit ou s’imprime ; parce que s’ils manquent, le sens est transformé, altéré et différent ». [12] Mais, comme pour Moxon, le correcteur peut juger des décisions du compositeur car il est plus savant que lui. Il doit « savoir, au moins, la grammaire (il en est qui furent et qui sont gradués en diverses disciplines), l’orthographe, l’étymologie, la ponctuation, la place des accents. Il doit avoir connaissance des sciences, et des bonnes lettres, des caractères grecs et hébreux, des règles de musique ; il doit maîtriser éloquence, l’art et l’élégance pour connaître, et corriger les barbarismes, solécismes et les autres fautes que l’on trouve en latin, castillan, et les autres langues. »[13]
Pour Moxon, pour Paredes, pour Cabrera, pour Cervantes, la production textuelle suppose différentes étapes, différentes techniques, différentes interventions. Entre le génie de l’auteur et la capacité du lecteur, pour reprendre les termes de Moxon, une multiplicité d’opérations définit le processus de publication comme un processus collectif, qui implique de nombreux acteurs et qui ne sépare pas la matérialité du texte et la textualité du livre. [14] Paredes exprime cette double nature du livre, comme objet et comme oeuvre, en inversant une métaphore classique. Alors que nombreux sont les textes qui décrivent le corps ou le visage de l’homme ou de la femme comme un livre,[15] il tient, lui, le livre pour une créature humaine dotée d’un corps et d’une âme : « J’assimile un livre à la fabrication d’un homme, qui a une âme rationnelle, avec laquelle Notre Seigneur l’a créé avec toutes les grâces que sa Majesté Divine a voulu lui donner ; et avec la même toute-puissance il a formé son corps élégant, beau et affable. »[16]
Si le livre peut être comparé à l’homme, c’est parce que Dieu a créé la créature humaine de la même manière que l’est un livre. Cabrera donne sa forme la plus élaborée à la comparaison en tenant l’homme comme le seul livre imprimé parmi les six écrits par Dieu. Les cinq autres sont le ciel étoilé, comparé à un immense parchemin dont les astres sont les lettres ; le Monde, qui est somme et carte de tout ce qui fut créé ; la Vie, identifié à un registre qui contient les noms de tous prédestinés, le Christ lui-même, le premier d’entre eux, qui est à la fois « exemplum » et « exemplar », exemple proposé à tous les hommes et exemplaire de référence de l’humanité ; la Vierge, enfin, le premier de tous les livres, dont la création dans l’Esprit de Dieu, la « Mente Divina », a préexisté à celle du Monde, des siècles et de la terre. Parmi les livres de Dieu, tous mentionnés par les Ecritures ou les Pères de l’Eglise, mais tous référés par Cabrera à l’un ou l’autre des objets de la culture écrite de son temps, l’homme fait exception car il résulte du travail de l’imprimerie : « Dieu mit sur la presse son image et empreinte, pour que la copie sortît conformément à la forme qu’elle devait avoir [...] et il voulut en même temps être réjoui par les copies si nombreuses et si variées de son mystérieux original. » [17]
Paredes reprend l’image. Mais, pour lui, l’âme du livre n’est pas seulement le texte tel qu’il a été composé, dicté, imaginé par son créateur. Elle est ce texte, mais donné dans une disposition qui lui soit adéquate : « un livre parfaitement achevé consiste en une bonne doctrine, présentée heureusement grâce à l’imprimeur et au correcteur, c’est cela que je tiens pour l’âme du livre ; et une bonne impression sur la presse, propre et soignée, qui fait que je peux le comparer à un corps gracieux et élégant ». [18] Si le corps du livre est le résultat du travail des pressiers, son âme n’est pas façonnée seulement par l’auteur, mais elle reçoit sa forme de tous ceux, maître-imprimeur, compositeurs et correcteurs, qui prennent soin de la ponctuation, de l’orthographe et de la mise en page. Paredes anticipe ainsi sur les constats des bibliographes contemporains qui récusent tout possibilité de séparer la substance essentielle d’un texte, toujours présente et stable, quelle que soit sa forme manuscrite ou imprimée, et la diversité et la mobilité de ses modes d’inscription, tenus pour des variations accidentelles, sans importance pour la signification de l’œuvre. [19]
Un épisode de l’histoire éditoriale de Don Quichotte, imprimé à la fin de 1604 dans l’atelier de Juan de la Cuesta et paru avec la date de 1605, illustre la réalité, et aussi les risques de la collaboration propre à tout processus de publication. Au chapitre XXV de l’histoire, dans la première édition du livre, Sancho mentionne, en passant, le vol de son âne : « Béni soit celui qui vient de nous ôter la peine de débâter le grison. » Et de fait, quatre chapitres plus loin, Sancho suit à pied son maître monté sur son cheval : « Don Quichotte monta alors sur Rossinante et le barbier s’accommoda sur sa monture, tandis que Sancho restait à pied. Cela lui remit en mémoire la perte de l’âne et la privation qu’il en éprouvait depuis lors. » Mais, sans explication, l’âne réapparaît au chapitre XLII : « Seul Sancho Pança se désespérait du retard qu’on mettait à aller se reposer ; et lui seul s’installa mieux que tout le monde, en se couchant sur les harnais de son âne. »[20]
Prenant conscience de cette anomalie, immédiatement remarquée par ses critiques, Cervantes rédigea pour la seconde édition de Don Quichotte, publiée elle aussi en 1605 (signe du succès de l’oeuvre) deux brefs récits. Le premier raconte le vol de l’âne par Ginés de Pasamonte, le galérien malencontreusement libéré par don Quichotte, alors que Sancho est endormi ; le second décrit la récupération de sa monture par Sancho qui reconnaît son voleur sous l’habit d’un gitan, le met en fuite et retrouve son cher grison. [21] Dans la seconde édition, le récit du larcin fut inséré dans le chapitre XXIII, peu après l’entrée des deux héros dans la Sierra Morena, le second dans le chapitre XXX lorsqu’ils quittent la montagne en compagnie de Cardenio, de Dorotea, du barbier et du curé venus arracher don Quichotte à sa folie sylvestre. Tout semblait donc en ordre, mais, hélas, la première phrase du chapitre XXV ne fut pas corrigée et disait : « Don Quichotte prit congé du chevrier et, remontant sur Rossinante, commanda à Sancho de le suivre, ce que celui-ci fit sur son baudet, de fort mauvaise grâce. »[22] Sancho était ainsi toujours juché sur l’âne qui, pourtant, lui avait été dérobé. Ce n’est que dans l’édition de Roger Velpius publiée à Bruxelles en 1607 qu’un correcteur plus attentif fait disparaître l’incohérence textuelle alors qu’elle se retrouve intacte dans la troisième édition madrilène, sortie des presses de Juan de la Cuesta en 1608.
Les tribulations de l’âne disparu mais néanmoins encore présent, rappellent, tout d’abord, que loin d’être figés dans une forme qui leur serait donnée une fois pour toutes, les textes sont mobiles, instables, malléables. Leurs variantes résultent d’une pluralité de décisions, ou d’erreurs, distribuées tout au long du processus de leur publication. Comme le montre l’exemple de Don Quichotte, la négligence de l’auteur, les bévues des compositeurs, le manque d’attention des correcteurs sont autant d’éléments qui contribuent aux états successifs d’une même oeuvre. Comment l’édition des textes ou la critique littéraire doivent-elles considérer ces incohérences ou anomalies ? Pour Francisco Rico, il est nécessaire de retrouver le texte que Cervantes a composé, imaginé, désiré, et que le travail dans l’atelier typographique a nécessairement déformé. [23] Il s’agit donc, à l’instar des philologues classiques qui traversent toute la tradition manuscrite d’une oeuvre afin d’en établir le texte le plus probable,[24] de confronter les différents états imprimés pour récupérer ce que l’auteur a écrit, ou voulu écrire, et qui, parfois, est trahi par toutes les éditions. Dans une autre perspective, celle de la critique shakespearienne, les formes, même fautives, dans lesquelles une oeuvre a été publiée sont à considérer comme ses différentes incarnations historiques. [25] Toutes les variantes, même les plus inconsistantes et les plus bizarres, doivent être comprises, respectées et, éventuellement éditées car, résultant des gestes de l’écriture comme des pratiques de l’atelier, elles constituent l’une des multiples modalités d’inscription de l’œuvre telle qu’elle a été transmise à ses lecteurs Celle-ci n’existe que dans les formes matérielles, simultanées ou successives, qui lui donnent existence. La quête d’un texte primordial, qui existerait en-deçà des différents états de l’œuvre et qui en serait l’identité essentielle, est donc vaine. Éditer une oeuvre n’est pas retrouver cet « ideal copy text » chère à la tradition bibliographique, mais expliciter la préférence donnée à l’un ou l’autre de ses états ainsi que les choix faits quant à la « matérialité » de sa présentation : divisions, ponctuation, graphie, orthographe, etc.[26]
La décision n’est pas toujours aisée. Soit un exemple shakespearien, celui de Peines d’amour perdues. En 1598, dans la première édition de la comédie, publiée dans le format in-quarto, les couples d’amoureux ne sont pas constitués au début de la pièce comme ils seront à son dénouement. Les premiers échanges galants lient Biron et Catherine (et non Rosaline), et Dumaine et Rosaline (et non Catherine). Ce n’est qu’au troisième acte, selon les divisions modernes de la pièce, que chacun des jeunes seigneurs de Navarre tombe amoureux de celle qui sera la dame de ses pensées jusqu’au dénouement. En 1623, la réédition de la comédie dans le Folio qui réunit pour la première fois les « Comedies, Histories, & Tragedies » de Shakespeare, « Published according to the True Originall Copies » comme l’indique la page de titre, propose une autre situation puisque Biron et Rosaline tout comme Dumaine et Catherine sont attirés l’un vers l’autre dès leur première rencontre. Doit-on interpréter cette différence comme la réparation d’une négligence de Shakespeare qui aurait interverti les noms originellement donnés aux personnages ? Faut-il la comprendre comme la correction d’une erreur commise par les compositeurs de l’in-quarto ? Ou faut-il tenir la version de la première édition comme plus fidèle à une intention dramatique puisqu’un abrupt déplacement de la passion amoureuse est un motif présent dans d’autres pièces (à commencer par les amours de Roméo) et que l’inconstance des jeunes « lords » expliquerait la dureté que leur témoignent les jeunes dames de France dans le dernier acte de la comédie ? La tension entre la préférence esthétique et la tradition textuelle telle que l’énonce Stephen Greenblatt témoigne de la difficulté à choisir : « Bien que la version publiée ici [dans le Norton Shakespeare et, préalablement, dans l’édition d’Oxford] soit fondée sur le consensus quasi général existant entre les spécialistes [i.e. le texte du Folio], il est fort possible que le texte de l’in-quarto fournisse la traduction la plus adéquate des relations amoureuses dans Love’s Labour’s Lost. » [27] D’un côté, donc, le respect éditorial pour le texte tel qu’il a été accepté par la tradition commencée en 1623, mais, d’un autre, l’attirance et la nostalgie pour une version plus bien plus excitante...
L’épisode de l’âne de Sancho propose une autre leçon. Les incohérences textuelles rencontrées dans Don Quichotte, dont il n’est qu’un exemple, soulignent les liens forts qui unissent l’écriture de Cervantes avec les pratiques de l’oralité. Comme le souligne avec acuité Francisco Rico, « Cervantes révolutionne la fiction en la concevant, non pas de le style artificiel de la littérature, mais dans la prose domestique de la vie ». En ce sens, « Don Quichotte mes moins écrit que dit, rédigé sans soumission aux contraintes de l’écriture, ni celles d’alors, avec les habiletés baroques requises par les styles à la mode, ni, naturellement, les nôtres. » [28] Pour la première fois, un roman est écrit selon le rythme et la syntaxe de la langue parlée et contre les exigences des règles de la grammaire et des conventions esthétiques. Plus encore, la composition de la narration, qui multiplie les digressions, les parenthèses, les associations libres de mots, de thèmes ou d’idées, est façonnée, non par les principes de la rhétorique lettrée, mais selon les codes qui régissent les échanges oraux et la conversation. Les omissions, les confusions, les négligences importent peu pour une telle façon d’écrire, modelé sur le style spécifique de la parole vive et qui utilise l’imprimé comme s’il était une manière de dire. [29]
Il est temps de retrouver don Quichotte dans l’imprimerie barcelonaise. Il y rencontre un « auteur » qui a traduit en castillan un livre italien intitulé Le bagatele. Dans le dialogue qui s’établit entre eux, Cervantes joue avec trois motifs. D’abord une référence amusante au succès des poèmes de l’Arioste : « Je sais un peu de toscan et me flatte de chanter quelques stances de l’Arioste » déclare don Quichotte. [30] Ensuite, l’effet comique produit par l’admiration de don Quichotte pour les traductions les plus triviales : « Je parierai gros que là où le toscan dit piace vous dîtes il plaît en castillan, et là où il dit più vous dites plus, et vous traduisez su par en haut et giù par en bas. »[31] Enfin, le débat, classique en son temps, sur l’utilité des traductions. Pour moi, dit don Quichotte, « à ce qu’il me semble, traduire d’une langue dans une autre, dès lors qu’il ne s’agit pas des deux langues reines, la grecque et la latine, c’est comme regarder au rebours les tapisseries de Flandres : bien que l’on en distingue les figures, elles sont pleines de fils qui les voilent, et ne se voient point avec l’uni et la couleur de l’endroit. »[32]
Au-delà de ces jeux avec un savoir commun, le dialogue est construit sur des références aux pratiques de l’imprimerie et de la librairie. En interrogeant le traducteur, don Quichotte rappelle les deux manières de publier en livre dans l’Espagne du Siècle d’Or et dans l’Europe moderne : « Mais dites-moi, Monsieur, ce livre est-il imprimé à votre compte, ou en avez-vous déjà vendu le privilège à quelque libraire ? » « C’est à mon compte que je le fais imprimer, répondit l’auteur, et je pense gagner au moins mille ducats avec cette première impression, qui sera de deux mille exemplaires, et ceux-ci vont être vendus en une flambée à six réaux chacun ». [33] Imprimant « por su cuenta », le traducteur a conservé pour lui-même le privilège qui lui a été octroyé et il a commissionné à l’imprimeur barcelonais l’impression des deux mille exemplaires de l’édition de son livre qu’il vendra soit par l’intermédiaire des libraires, soit même directement –ce qui n’est pas exceptionnel comme l’a montré Fernando Bouza.[34]
En demandant l’impression de deux mille exemplaires pour la première édition de son livre, le traducteur de Le Bagatele n’est pas sans présomption. Ce tirage est, en effet le plus élevé de tous ceux envisagés par Paredes dans son manuel qui indique qu’en une journée de travail, une presse peut imprimer deux formes (c’est-à-dire les pages correspondant aux deux côtés d’une feuille d’imprimerie) à mille cinq cent, mille sept cent cinquante ou deux mille exemplaires.[35] Le détail sert à Cervantes pour marquer soit la trop grande confiance du traducteur, soit l’engouement du public pour les traductions, supérieur à celui qu’il montre pour les histoires originales. On peut, en effet, rappeler que, selon toute vraisemblance, Juan de la Cuesta n’a imprimé que mille sept cent cinquante exemplaires pour la seconde édition de Don Quichotte en 1605, ce qui est, d’ailleurs, un tirage supérieur à la moyenne[36] et sans doute plus élevé que celui de la première édition.[37]
Une remarque du traducteur introduit dans le texte l’opposition entre deux « économies de l’écriture » : « Moi, je ne fais pas imprimer mes livres pour acquérir de la renommée dans le monde, car j’y suis déjà connu par mes ouvrages ; ce que je veux, c’est du profit, car, sans lui, la bonne renommée ne vaut pas un liard. »[38] L’opposition entre « fama » et « provecho », réputation et profit est un lieu commun dans l’Espagne du Siècle d’Or. Mais ici elle est associée avec une perception aiguë du monde littéraire. Les traducteurs sont, en effet, les premiers « auteurs » à recevoir pour leur manuscrit, non seulement des exemplaires de leur livre, destinés à être offerts à leurs protecteurs, mais aussi une rémunération monétaire.[39] Il y a là comme une première étape de la professionnalisation du travail d’écriture, liée à une activité qui s’apparente à la copie. Le même mot, « trasladar », désigne d’ailleurs dans le castillan du XVIIe siècle les deux activités, copier et traduire, comme l’indique la définition de Covarrubias. [40] Soucieux de gagner de l’argent avec son livre, le traducteur n’entend pas en céder le privilège à un libraire qui tirera tout le profit de son éventuel succès.
Contre le modèle classique de l’écriture, qui suppose un désintéressement que permet soit la condition de l’auteur, soit la protection d’un mécène, le traducteur de Le Bagatele affirme qu’il est possible de vivre de la plume, et bien vivre. Il espère ce que Cervantes juge impossible dans le « Prologue au lecteur » de la Seconde Partie de Don Quichotte : « L’une des plus fortes tentations du démon est celle qui consiste à mettre dans la tête d’un homme qu’il peut composer et publier un livre dont il tirera autant de gloire que d’argent et autant d’argent que de gloire. » [41] Il s’agit là d’un vain espoir. Les livres ne peuvent apporter à la fois la gloire et l’argent. Pour tous ceux qui n’ont ni état ni fortune, comme Cervantes, seule la générosité des protecteurs –en l’occurrence, le comte de Lemos, vice-roi de Naples, et l’archevêque de Tolède, Bernardo de Sandoval y Rojas- peut assurer une vie décente.
Tout comme Cervantes, don Quichotte se montre sceptique devant les espérances du traducteur trop confiant : « Vous faites bien mal votre compte ! répondit don Quichotte. Vous ne connaissez pas, ce me semble, les manigances des imprimeurs et les arrangements qu’ils ont entre eux. Lorsque vous serez chargé de deux mille exemplaires, je vous le promets, vous vous sentirez le corps si moulu que vous n’en pourrez mais, et plus encore si le livre n’a pas beaucoup d’intérêt et de piquant. »[42] Le texte joue ici avec un motif fréquent au Siècle d’Or : la dénonciation de la cupidité et de la malhonnêteté des imprimeurs et libraires, toujours prêts à tromper les auteurs en leur dissimulant, par la falsification de leurs livres de comptes et leurs complicités, soit le tirage réel de l’édition, soit le nombre des exemplaires vendus. Le motif court sous la plume de nombreux écrivains qui stigmatisent l’imprimerie tenue comme corrompant à la fois l’intégrité des textes, déformés par des compositeurs ignorants, le sens des oeuvres, proposées à des lecteurs incapables de les comprendre et l’éthique du commerce des lettres, dégradée par celui des livres.[43] « Dieu vous donne bonne chance, monsieur » sont les derniers mots adressés par don Quichotte au traducteur que sa présomption rend inconscient des périls qui le guette. [44]
Dans l’atelier barcelonais, deux livres, avec d’autres, sont en cours d’impression et de correction durant la visite de don Quichotte. Le premier a pour titre Lumière de l’âme (Luz del alma). Selon Francisco Rico, et contrairement au commentaire classique, il ne peut s’agir là d’une allusion de Cervantes au livre portant le même titre imprimé par Felipe de Meneses à Salamanque en 1556 et réédité jusque dans la décennie 1590. La référence à un livre si ancien, habité par un humanisme chrétien d’inspiration érasmienne, n’est guère compatible avec les engagements contre-réformés de Cervantes dans la dernière partie de sa vie : en 1609, il est entré dans la confrérie des Esclaves du Très-Saint-Sacrement et en 1613 il prend l’habit du tiers ordre de Saint François. Lumière de l’âme est donc plus vraisemblablement une référence générique au type d’ouvrages qui domine la production imprimée espagnole au commencement du XVIIe siècle, ou bien une allusion plus précise à un ouvrage qui est l’un des best-sellers du temps : les Obras de Ludovico Blesio (i.e. Louis de Blois, abbé du monastère de Liesse). Comme le note Francisco Rico, ce livre, qui a eu plus d’une douzaine d’éditions entre 1596 et 1625, a été plusieurs fois imprimé par l’imprimeur des deux parties de Don Quichotte. Juan de la Cuesta l’imprime pour Diego Guillén en 1604, en même temps et avec les mêmes caractères que la Première Partie du roman de Cervantes. Il le réimprime en 1608 et 1611 pour Francisco de Robles, qui est l’éditeur de Don Quichotte et, en 1613, des Nouvelles exemplaires. Cervantes connaissait donc l’ouvrage pour l’avoir sans doute vu, tout comme don Quichotte, dans une imprimerie. [45] De là, sa remarque, qu’il faut sans doute entendre sérieusement : « Quoiqu’il y ait beaucoup de livres de ce genre, ce sont ceux qu’il faut imprimer, car nombreux sont les pécheurs que l’on croise, et il faut bien des lumières pour éclairer tant d’aveugles. » [46]
Le second ouvrage rencontré par don Quichotte est plus intéressant encore : « Allant plus avant, il vit que l’on corrigeait également un autre livre, dont il demanda le titre, et on lui répondit qu’il s’appelait la Seconde Partie de l’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, composée par un certain natif de Tordesillas. J’ai déjà eu connaissance de ce livre, dit don Quichotte ». [47] Il n’est pas le seul puisque le lecteur de la Seconde partie connaît, au moins par les allusions du Prologue, l’existence cette continuation apocryphe du roman de Cervantes, parue en 1614, dont la page de titre annonce le « Segundo tomo del Ingenioso hildalgo Don Quixote de la Mancha, que contiene su tercera salida ; y es la quinta parte de sus aventuras » [Seconde partie de l’Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, qui contioent sa troisième sortie ; et constitue la cinquième partie de ses aventures][48] – ce qui est une double allusion au dernier chapitre de la Première Partie du texte de Cervantes, qui indiquait que « l’auteur de cette histoire a eu beau mettre tout son empressement et son zèle à rechercher les exploits que fit don Quichotte à sa troisième sortie il n’a pu nulle part en trouver trace, du moins par des écrits authentiques ; seule la renommée a conservé dans la mémoire des gens de la Manche que don Quichotte, la troisième fois qu’il quitta sa maison, se rendit à Saragosse, où il prit part à un fameux tournoi qui eut lieu dans cette ville » [49], et à la division en quatre parties du livre publié en 1605, qui n’était pas alors la première partie d’un diptyque. L’ouvrage se donne comme composé par « el Licenciado Alonso Fernandez de Avellaneda, natural de la villa de Tordesillas » et comme imprimé à Tarragone par Felipe Roberto. L’analyse des fontes utilisées pour le livre suggère que l’adresse typographique mise sur la page de titre dissimule, en fait, le lieu réel de l’impression, qui serait l’atelier de Sebastián de Cormellas à Barcelone. L’hypothèse peut donc être faite que l’imprimerie visitée par don Quichotte ne serait pas celle de Pedro Malo, comme on l’a pensé [50], mais celle de Cormellas, [51] décrite par Cervantes à partir de sa propre connaissance de l’atelier où Don Quichotte a été imprimé, celui de Juan de la Cuesta à Madrid. [52]
Dans le texte même de la Seconde Partie de Cervantes, la première mention de l’ouvrage d’Avellaneda (dont l’identité réelle n’a jamais pu être établi avec certitude) [53] apparaît au chapitre LIX lorsque deux des clients de l’auberge où don Quichotte et Sancho ont fait halte évoque à la fois le roman de 1605 et la continuation de 1614. À don Juan qui lui propose : « Sur votre vie, don Jerónimo, en attendant qu’on apporte le souper, lisons un autre chapitre de la Seconde Partie de Don Quichotte de la Manche », celui-ci réplique : « Pourquoi voulez-vous, seigneur don Juan, que nous lisions ces extravagances ? Car celui qui a lu la Première partie de l’histoire de don Quichotte de la Manche ne saurait prendre plaisir à lire la seconde. » [54]
Le dialogue entre les deux gentilshommes rappelle au lecteur la discussion par les différents protagonistes (le bachelier Carrasco, don Quichotte, Sancho) de la réception des exploits du chevalier errant tels que les a consignés l’historien arabe Cid Hamet Benengeli (l’auteur supposé de la narration à partir du chapitre IX de la Première Partie) et imprimés la presse madrilène de Juan de la Cuesta. [55] Carrasco mentionne le grand succès du livre, déjà imprimé à plus de douze mille exemplaires [56], mais aussi les critiques qui lui ont été adressées : « certains ont reproché à l’auteur des erreurs et des défaillances de mémoire délibérées, car il oublie de raconter qui était le voleur qui déroba le grison de Sancho, dont il n’est d’ailleurs pas fait mention dans l’histoire. Tout ce que l’on peut en déduire, en effet, c’est qu’on le lui a volé, alors qu’on le voit apparaître peu après à cheval sur ce même baudet, sans qu’il l’ait retrouvé. »[57] La bévue commise dans la première édition, et mal réparée dans les suivantes, est ainsi transformée en un motif du récit lui-même. Sancho y revient au chapitre suivant. Il y fait lui-même le récit du vol et de la récupération de son âne et répond à Samson Carrasco qui lui fait remarquer, faisant allusion cette fois-ci à l’incohérence maintenue dans la seconde édition, que l’erreur réside « dans le fait qu’avant même d’avoir retrouvé son âne l’auteur nous dit que Sancho se déplaçait à cheval sur le grison en question » : « Sur ce point, répliqua Sancho, je ne sais que répondre, hormis que l’historien se soit trompé ou bien qu’il s’agisse d’une négligence de l’imprimeur. »[58] Bien avant la visite de don Quichotte dans l’imprimerie barcelonaise, l’atelier où les livres sont composés, imprimés et corrigés (parfois malencontreusement) est déjà présent dans le récit grâce à l’ironie de Cervantes à propos de sa propre négligence, attribuée au chroniqueur arabe ou aux ouvriers de l’atelier.
Le fait que les personnages de Don Quichotte soient aussi des lecteurs et des commentateurs du livre qui raconte leur histoire constitue pour Borges l’une des « magies » du roman. Pour lui, ce dispositif narratif est l’un des instruments les plus efficaces pour que soient confondus le monde du livre et celui du lecteur. De même, dans le cas d’Hamlet, la représentation du Meurtre de Gonzague par les comédiens arrivés de la ville qui reproduit devant la cour d’Elseneur l’histoire même du meurtre du vieil Hamlet, trahi par son frère et son épouse, confond le monde de la scène et celui du public. Borges s’interroge : « Pourquoi sommes-nous inquiets que Don Quichotte soit lecteur du Quichotte et Hamlet spectateur d’Hamlet ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d’une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou leurs spectateurs, pouvons être des personnages fictifs. »[59]
Les protagonistes de Don Quichotte ne connaissent pas uniquement le livre qui a narré leurs aventures. Ils ont également vu ou lu sa continuation. En ce sens, Cervantes introduit dans son roman non seulement les techniques de l’atelier typographique, mais aussi les pratiques du monde éditorial et littéraire. Retournons dans l’auberge où don Jerónimo et don Juan ont apporté un exemplaire du livre d’Avellaneda. Entendant don Juan dire que ce qui lui déplaît le plus dans cet ouvrage est que don Quichotte y soit dépeint comme dépris (« desenamorado ») de Dulcinée, le chevalier errant entre dans la conversation « plein de colère et de dépit », dément l’insultante affirmation et se fait connaître aux deux « hidalgos. » À partir de ce moment-là, Cervantes va déployer un jeu étourdissant avec le livre publié une année avant sa propre Seconde Partie et dans lequel le prétendu licencié de Tordesillas raconte, entre autres, la pitoyable participation de don Quichotte à la course de bagues de Saragosse.
Don Quichotte réfute les affirmations mensongères d’Avellaneda : il est et demeurera constant dans son amour pour Dulcinée. Mais il fait plus. Il déclare que les événements que la continuation décrit comme étant advenus n’arriveront jamais. Il n’est pas allé à Saragosse et il ne s’y rendra pas : « je ne mettrai pas les pieds à Saragosse, et je dénoncerai ainsi à la face du monde le mensonge de ce moderne historien, et les gens verront que je ne suis pas le don Quichotte dont il parle. »[60] En bonne logique poppérienne, Cervantes « falsifie » le récit d’Avalleneda en désignant comme un futur qui ne sera pas ce que le continuateur racontait comme un passé déjà accompli. Et, de fait, don Quichotte n’ira pas à Saragosse, mais à Barcelone où nous l’avons retrouvé.
Avant de refuser prendre le chemin de Saragosse, don Quichotte feuillette le livre d’Avellaneda que lui a mis entre les mains l’un des deux gentilshommes. Par un ironique renversement, il accuse son auteur de négligence et incohérence : « la troisième chose [digne de blâme], qui le confirme le plus comme ignorant, c’est qu’il se trompe et s’écarte de la vérité sur le point le plus important de l’histoire, car il dit ici que la femme de Sancho Pança, mon écuyer, s’appelle Mari Gutiérrez, et ce n’est pas ainsi qu’elle s’appelle, mais Teresa Pança ; et celui qui se trompe dans cette partie si importante de l’histoire, on peut bien craindre qu’’il ne se trompe dans tout le restant. » [61] La critique ridicule adressée au continuateur est une manière pour Cervantes de se moquer, à la fois, de ses propres détracteurs qui avaient fait, tel Lope de Vega, du vol de l’âne « le point le plus important de l’histoire », et de lui-même puisque, dans la Première Partie, la femme de Sancho apparaît sous de multiples noms, Juana Gutiérrez, Mari Gutiérrez, et Juana Pança, et que dans la Seconde, elle devient Teresa Pança et, finalement, Teresa Sancha.[62]
A partir du chapitre LIX, multiples sont dans le texte de Cervantes les allusions à la continuation d’Avellaneda. Au chapitre LXI, avant son entrée dans Barcelone, don Quichotte est accueilli par l’un des amis de Roque Guinart avec ces mots : « Bien venu soit le valeureux don Quichotte de la Manche : non pas le faux, le fictif, l’apocryphe qu’on nous a montré ces jours-ci dans de fausses histoires, mais le véritable, le loyal et le fidèle que nous a décrit Cid Hamet Benengeli, fleur des historiens » – ce qui fait dire au héros : « Ces gens-ci nous ont sûrement reconnus ; je gagerais qu’ils ont lu notre histoire, et même celle de l’Aragonais imprimée récemment. » [63] Au chapitre LXII, il quitte l’imprimerie avec irritation, en déclarant, à propos de ce même livre : « en vérité et sur ma conscience, je pensais qu’il était déjà brûlé et réduit en cendres pour son impertinence. »[64] Au chapitre LXX, dans la vision infernale d’Altisidora, au seuil de l’enfer, les diables jouent à la pelote, mais en guise de balles, ils se servent de livres. L’un d’eux, déchiré par les coups de pelles à feu qu’ils manient en guise de raquettes, s’éparpille sur le sol : « ‘Voyez quel est ce livre’ dit un diable à un autre ; et celui-ci de répondre : ‘C’est la Seconde partie de l’histoire de don Quichotte de la Manche, composée non par Cid Hamet, son premier auteur, mais par un Aragonais qui se prétend natif de Tordesillas. – Otez-le moi d’ici, répliqua le premier diable, et jetez-le dans les abîmes de l’enfer : que mes yeux ne le voient plus – Est-il donc si mauvais ? demanda l’autre. – Si mauvais, reprit le premier, qu’aurais-je tâché moi-même par exprès de faire pis, je n’y aurais pas réussi. »[65]
Le jeu avec la continuation apocryphe culmine dans le chapitre LXXII où, sur le chemin du retour ves leur village, don Quichotte et Sancho rencontrent dans une auberge don Alvaro Tarfe, l’un des personnages inventés par Avellenada. Don Alvaro doit affirmer que le don Quichotte et le Sancho Pança qu’il a connus ne sont pas ceux qu’il voit maintenant. Le véritable don Quichotte n’est jamais allé à Saragosse ; il n’a jamais été enfermé dans un asile de Tolède. Don Alvaro Tarfe reconnaît devant le maire du village et déclare « dans les formes de la justice » « qu’il ne connaissait pas don Quichotte de la Manche, présent également, lequel n’était pas celui qu’on avait imprimé dans une histoire intitulée Seconde partie de don Quichotte de la Manche, composée par un certain Avellaneda, natif de Tordesillas. » [66] Enoncée dans le lexique des actes juridiques (la déposition a la forme d’une « petición » et commence par la formule légale « de que a su derecho convenía »), la déclaration de don Alvaro Tarfe est l’un des nombreux dispositifs par lesquels Cervantes transforme le « plagiat » d’Avellaneda en motif de sa propre fiction - peut-être en se souvenant de Mateo Alemán qui, dans la Seconde partie de la Vie de Guzman d’Alfarache, publiée en 1604, avait transformé en personnage de son roman l’auteur d’une continuation parue deux années auparavant, écrite par le valencien Juan José Martí et présentée comme composée par « Mateo Luján de Sayavedra, natural vecino de Sevilla. » Au chapitre IX du Livre II de cette Seconde Partie, Sayavèdre, comme l’indique le titre du chapitre, « devient malade, il entre en frénésie, croit être Guzman lui-même et se jette dans la mer, où il se noie. » Don Alvaro Tarfe ne connaît pas un destin si lamentable. [67] Mais le jeu est le même qui utilise la continuation publiée sous pseudonyme comme matière littéraire, fournissant personnages et histoires. Dans Don Quichotte, l’effet de réel produit par le texte ne renvoie donc pas seulement, comme l’écrit Borges, au fait que Cervantes installe son intrigue dans « les chemins poudreux et les sordides auberges de Castille », abandonnant les « géographies vastes et vagues de l’Amadis. »[68] Il provient, en premier lieu, des échanges permanents noués entre la fiction et les conditions techniques ou littéraires qui en gouvernent la composition – au deux sens du mot, esthétique et typographique.
La dernière allusion à la continuation d’Avellaneda apparaît dans le testament que dicte don Quichotte sur son lit de mort. La clause finale en est : « Item, je supplie messieurs les exécuteurs testamentaires, ci-devant nommés, [i.e. le curé et le bachelier Samson Carrasco] que, s’ils avaient la bonne fortune de connaître l’auteur qui, dit-on, a composé une histoire qui circule par ici sous le titre de Seconde partie de don Quichotte de la Manche, ils le prient de ma part, aussi instamment qu’il est possible, de me pardonner de lui avoir donné, sans y prendre garde, l’occasion d’écrire de si grandes et si nombreuses sottises que celles qu’il y a commises ; car j’abandonne cette vie avec le scrupule de lui avoir fourni l’occasion de les écrire. » Verdana">[69] L’ironique pardon consenti à Avellaneda ne peut être séparé du retour de don Quichotte à la raison qui ouvre le dernier chapitre du roman : « Je possède désormais un jugement libre et clair, dégagé des ombres épaisses de l’ignorance qu’avait répandues sur lui l’amère et continuelle lecture des détestables livres de chevalerie. » [70] Le premier signe du recouvrement du jugement est celui de l’identité : « Mes bons messieurs, félicitez-moi d’être non plus don Quichotte de la Manche, mais Alonso Quijano, à qui sa bonne vie valut autrefois d’être appelé le Bon. »[71] En reprenant son vrai nom, don Quichotte marque la fin de fable, avant même sa mort quelques pages plus loin. Il annule ainsi le geste fondateur qui l’avait ouverte, quand l’hidalgo Quixana (Quijana), ainsi qu’il est nommé dans la seconde édition de 1605 (et non plus Quexana comme dans l’édition princeps)[72] « en vint à s’appeler don Quichotte. »[73]
Un étonnant moment est alors proposé au lecteur par les autres protagonistes de l’histoire. Ceux-ci refusent le retour de l’hidalgo à son identité véritable et veulent perpétuer l’illusion. Ils désirent devenir bergers comme l’avait décidé don Quichotte qui, après avoir été défait par le chevalier la Blanche Lune, avait fait promesse de renoncer pendant une année à la vie de chevalier errant. Tous, et peut-être avec eux le lecteur auquel a été ainsi annoncé la parodie d’un nouveau genre, rêvent d’habiter en esprit un monde pastoral plus plaisant que celui de leurs travaux et de leurs jours. Le bachelier Carrasco, Sancho, le narrateur lui-même s’obstinent à nommer de son nom de chevalerie celui qui est redevenu, pour lui-même, Alonso Quijano. Une seconde fois, don Quichotte doit affirmer qu’il a retrouvé son nom authentique : « J’ai été fou et maintenant je suis sage : j’ai été don Quichotte de la Manche, et je suis désormais, ainsi que je l’ai dit, Alonso Quijano le Bon. Puisse mon repentir et ma sincérité me rendre, messieurs, l’estime que l’on me portait. » [74] Désormais, une double identité désigne « l’ingénieux hidalgo de la Manche » : il est, pour le temps qui est le sien, « un gentilhomme de ceux qui ont lance au râtelier, bouclier antique, maigre roussin et lévrier chasseur » [75] mais pour la postérité, il demeurera à jamais, grâce à sa déraison et à la plume de Cid Hamet, ce fol à qui il « parut convenable et nécessaire, tant pour l’accroissement de son honneur que pour le service de sa république, de se faire chevalier errant et de s’en aller par le monde, avec ses armes et son cheval, pour chercher les aventures et s’exercer en tout ce qu’il avait lu que s’exerçaient les chevaliers errants. » [76]
Don Quichotte est un homme aux noms multiples : celui qu’il se donne à lui-même (Don Quichotte de la Manche), celui qu’il dit être le sien (Alonso Quijano le Bon), ceux que les érudits lui ont attribués :» On affirma qu’il avait pour nom Quijada ou Quesada –car, là-dessus, il y a quelque divergence entre les auteurs qui ont écrit à ce sujet, bien que des conjectures vraisemblables donnent à entendre qu’il s’appelait Quijana. »[77] Cervantes transforme ainsi en une parodie plaisante les discussions savantes et en un dispositif permettant d’inscrire la fable du chevalier errant dans l’histoire de l’hidalgo de la Manche, ce qui est un trait commun aux textes littéraires de son temps : l’instabilité du nom. Peines d’amours perdues, comme on l’a vu, ou Lazarillo de Tormes, où, malgré le titre, le héros n’est jamais nommé Lazarillo, mais Lázaro (sauf dans la plaisanterie sur les mots « lacerado » / « lazarillo »)[78] sont deux exemples parmi beaucoup d’autres de cette mobilité des noms dont les raisons sont multiples : l’inattention des auteurs qui oublient ou confondent les noms qu’ils ont donnés à leurs personnages, les erreurs faits par les compositeurs et les correcteurs, ou, en toile de fond, une conception partagée qui n’assigne pas aux individus, dans la littérature comme dans le monde social, une identité unique, stable et fixée.[79] Le génie de Cervantes consiste à faire de ces variations du nom, quelles qu’en soient les raisons, matérielles, littéraires ou sociales, un critère essentiel pour délimiter au sein de son histoire le temps de l’enchantement.
La visite d’une imprimerie barcelonaise en compagnie de don Quichotte n’est pas sans enseignements. Trop longtemps, dans la tradition occidentale, la lecture des textes, canoniques ou non, a été séparée de l’interprétation des conditions techniques et sociales de leur publication et circulation. Il y est à cette dissociation plusieurs raisons : la permanence de l’opposition entre la pureté idéale de l’idée et sa corruption par la matière ; l’invention du copyright, qui établit la propriété de l’auteur sur un texte considéré comme toujours identique à lui-même quelle que soit la forme de sa publication, ou encore le triomphe d’une esthétique qui traite des oeuvres indépendamment de leurs supports successifs. C’est sans doute la possibilité de la reproduction et de la dispersion des textes en des formes multiples, d’abord par la copie manuscrite, ensuite, et à une autre échelle, par l’impression typographique, qui a conduit, dans la référence néo-platonicienne, les justifications de la propriété littéraire ou le jugement esthétique, à considérer les discours comme immatériels.
Paradoxalement, les deux approches critiques qui ont porté l’attention la plus soutenue aux modalités matérielles d’inscription des discours ont renforcé, et non combattu, ce processus d’abstraction textuelle. La bibliographie matérielle a mobilisé l’analyse rigoureuse des différents états d’une même oeuvre (éditions, émissions, exemplaires) pour retrouver un texte idéal, purifié des altérations infligées par le processus de publication et conforme au texte écrit, dicté ou rêvé par l’auteur. De là, dans une discipline vouée quasi exclusivement à la comparaison des objets imprimés, l’obsession des manuscrits perdus et la radicale distinction entre l’oeuvre en son essence unique, perpétuée, et ses multiples matérialisations, toujours corrompues.
L’approche déconstructionniste, pour sa part, a fortement insisté sur la matérialité de l’écriture et les différentes formes d’inscription du langage. Mais, dans son effort pour abolir ou déplacer les oppositions les plus immédiates (entre oralité et écriture, entre la singularité des actes de langage et la reproductibilité de l’écrit), une telle démarche a proposé des notions englobantes (archi-écriture, itérabilité) qui éloignent de la perception des effets produits par les différences qu’elles subsument. De là, l’effacement des matérialités textuelles par des catégories conceptuelles construites loin des évidences empiriques.
Contre l’abstraction des discours, en entrant dans l’atelier, Cervantes rappelle, en premier lieu, la pluralité des opérations qui contribuent à la production collective, non pas seulement des livres, mais plus fondamentalement des textes eux-mêmes. Il montre, aussi, que les transactions entre les oeuvres et le monde social ne consistent pas uniquement dans l’appropriation des langages ou l’usage symbolique de pratiques rituelles ou quotidiennes. Verdana">[80] Elles sont fondamentalement de permanentes négociations entre, d’une part, les catégories esthétiques qui, à chaque époque, bornent et autorisent l’invention littéraire et, d’autre part, les possibilités et contraintes matérielles qui lui donnent existence et signification.
Dans le temps du Quichotte, l’atelier d’imprimerie est ce lieu essentiel où les textes en quête d’un public deviennent des livres. La technique a ses détracteurs, qui en dénoncent les dangers ou l’inutilité et qui demeurent fidèles à la copie manuscrite. A la différence de l’imprimé, celle-ci peut assurer à l’auteur un plus grand contrôle sur la forme donnée à son ouvrage, en même temps qu’elle écarte le vulgaire ignorant des textes qu’il ne saurait comprendre. Mais le jugement n’est pas unanime. Et même les rois honorent de leurs visites les ouvriers typographes. C’est du moins ce que soutient Melchor de Cabrera dans son mémoire destiné à prouver l’honorabilité de cet « art des arts » qu’est l’imprimerie. Après avoir rappelé que Louis XIII, qui possédait une imprimerie dans son Palais, eut la réputation d’être un excellent compositeur, il décrit la visite que Philippe III et sa fille, l’infante doña Ana, ont faite à l’imprimerie que possédait le duc de Lerma, son « válido. » La jeune infante s’arrêtant devant une casse « voulut que l’on écrivît son nom dans la paume de sa main, et elle sortait les lettres des cassetins où on le lui indiquait qu’elles se trouvaient, et les plaçaient dans le composteur. »[81] Ensuite, sa Majesté entra dans l’atelier, et demanda aux ouvriers de demeurer à leur place et, en restant assis, de poursuivre la tâche à laquelle ils étaient occupés. Quand il arrivait à une casse, durant tout le temps qu’il s’arrêtait pour regarder le travail de composition, il posait la main sur l’épaule gauche du compositeur. » [82]
Tout comme son souverain, don Quichotte a voulu visiter une imprimerie. Comme lui, il a montré respect et admiration pour le travail de ceux grâce auxquels les hauts faits d’un grand prince ou les plaisantes aventures d’un pauvre chevalier pouvaient être annoncés au monde : « Don Quichotte, s’approchant d’une casse, demandait ce qu’on faisait là ; les ouvriers le lui expliquaient, il s’en émerveillait et passait plus loin. » [83]
[1] Cervantès, L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, in Cervantès, Don Quichotte suivi de La Galatée, Oeuvres romanesques, I, Edition publiée sous la direction de Jean Canavaggio, avec, pour ce volume, la collaboration de Claude Allaigre et Michel Moner, Paris, Gallimard, 2001, p. 1357 ; texte espagnol, Miguel de Cervantes, Don Quijote de la Mancha, Edición del Instituto Cervantes, Dirigida por Francisco Rico, Barcelone, Instituto Cervantes / Crítica, 1998, p. 1142 [texte espagnol : « y, así, él y Sancho, con otros dos criados que don Antonio le dio, salieron a pasearse »].
[2] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1357, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1142 [ texte espagnol : « Sucedió, pues, que yendo por una calle alzó los ojos don Quijote y vio escrito sobre una puerta, con letras muy grandes : «Aquí se imprimen libros », de lo que se contentó mucho, porque hasta entonces no había visto emprenta alguna y deseaba saber cómo fuese »]..
[3] William Baldwin, A Marvelous Hystory intituled Beware the Cat, Londres, 1570. Pour une édition moderne, Beware the Cat : The First English Novel, by William Baldwin, Introduction and Text by William A. Ringler and Michael Flachmann, San Marino, Calif., Huntington Library, 1988. Je remercie Joshua Phillips pour m’avoir signalé ce texte.
[4] Jorge Luis Borges, « Magies partielles du « Quichotte », in Borges, Enquêtes, traduit de l’espagnol par Paul et Sylvia Beénichou, Paris, Gallimard, 1957, pp. 65-69, texte espagnol, « Magias parciales del Quijote », [1952], in Borges, Otras inquisiciones, Madrid, Alianza Editorial, Biblioteca Borges, 1997, pp. 74-79 [texte espagnol : « Cervantes se complace en confundir lo objetivo y lo subjetivo, el mundo del lector y el mundo del libro »].
[5] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1357, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1142-1143 [texte espagnol : « y vio tirar en una parte, corregir en otra, enmendar en aquella, y, finalmente, toda aquella máquina que en las emprentas grandes se muestra »).
[6] Jérôme Hornschuch, Orthotypographia ; Instruction utile et nécessaire pour ceux qui vont corriger des livres imprimés et conseils à ceux qui vont les publier (Orthotypographia, Hoc est Instructio operas typographicas correcturis, et Admonitio scripta sua in lucem edituris utilis et necessaria), [1608], traduit du latin par Susan Baddeley, avec une introduction et des notes de Jean-François Gilmont, Paris, Edition des Cendres, 1967.
[7]. Alonso Víctor de Paredes, Institución y Origen del Arte de la Imprenta y Reglas generales para los componedores, Edición y prólogo de Jaime Moll, Madrid, El Crotalón, 1984 (reed. Madrid, Calambur, Biblioteca Litterae, 2002, avec une « Nueva noticia editorial » de Víctor Infantes).
[8] Ibid., fol..42 recto-45 recto.
[9] Joseph Moxon, Mechanick Exercises on the Whole Art of Printing (1683-4), Edited by Herbert Davis and Harry Carter, London, Oxford University Press, 1958, pp. 311-312 [texte anglais : « A good Compositor is ambitious as well to make the meaning of his Author intelligent to the Reader, as to make his Work shew graceful to the Eye and pleasant in reading. Therefore, if his copy be written in a language he understands, he reads his Copy with Consideration ; that so he may get himself into the meaning of the author, and consequently considers how to order his Work the better both in the title page, and in the matter of the Book : As how to make Indenting, pointing, Breaking, Italicking, etc. the better sympathize with the Authors Genius, and also with the capacity of the reader »].
[10] Ibid., p. 247 [texte anglais : « he examines the Proof and considers the Pointing, Italicking, Capittalling, or any error that may through mistake, or want of Judgement, be committed by the Compositor »].
[11] Melchor de Cabrera Nuñez de Guzman, Discurso legal, histórico y político en prueba del origen, progressos, utilidad, nobleza y excelencias del Arte de la Imprenta ; y de que se le deben (y a sus Artifices) todas las Honras, Exempciones, Inmunidades , Franquezas y Privilegios de Arte Liberal, por ser, como es, Arte de las Artes, Madrid, 1675, fol. 117 verso. [texte espagnol : « porque es en ella (la imprenta) muy superior la parte intelectual, y especulativa, a la operacion manual »]. Je remercie mon ami Fernando Bouza pour m’avoir indiqué et communiqué ce texte. Sur les mémoires rédigés à partir de 1636 par Melchor de Cabrera pour la défense des exemptions fiscales des imprimeurs, cf. Miguel María Rodríguez San Vincente, « Argumentoshistorici-jurídicos para la defensa de la inmunidad fiscal del libro español en el siglo XVII », Cuadernos bibliográficos, 44, 1982, pp. 5-31.
[12] Ibid., fol. 15, recto et verso [texte espagnol : « El componedor percibe el concepto, y discurso (...) Contar bien qualquiera original ; porque los Libros no se componen consecutivo, sino alternando el original. (...) Hazer interrogacion, admiracion, y parentesis ; porque muchas vezes la mente de los Escritores se confunde, por falta de estos requisitos, necessarios, è importantes para el entendimiento, y comprehension de lo que se escrive, ò imprime ; porque qualquiera que falte, muda, truëca, y varia el sentido »].
[13] Ibid. fol. 15, verso [texte espagnol : « El Corrector ha de saber, por lo menos Gramatica (ay, y ha avido graduados en diversas Ciencias) Ortografia, Etimologia, Puntuacion, colocacion de acentos ; Ha de tener norticia de las Ciencias, y buenas letras, de los caracteros Griëgos , y Hebreos ; de reglas de Musica, para sus Libros ; Ha de ser dotado de locucion, Arte, y elegancia para conocer, y enmendar barbarismos, solecismos, y los demàs defectos que se hallan en el Latin, Romance, y otras Lenguas »]. Une semblable définition des tâches et des compétences se rencontre en 1619 dans un mémoire présenté par le correcteur d’imprimerie Gonzalo de Ayala et l’avocat Juan de Valdes, qui fonde la différence entre imprimeurs et libraires sur l’appartenance de l’imprimerie, et non de la librairie, aux arts libéraux, cf. Víctor infantes, « La apologia de la imprenta de Gonzalo de Ayala : un texto desconocido en un pleito de impresores del Siglo de Oro », Cuadernos bibliográficos, 44, 1982, pp. 33-47.
[14] Cf. Jeffrey Masten, « Pressing Subjects or, The Secret Lives of Shakespeare's Compositors », in Language Machines: Technologies of Literary and Cultural Production, Edited by Jeffrey Masten, Peter Stallybrass and Nancy Vickers, New York and London, Routledge, 1997, pp. 75-107.
[15] Cf. Ernst Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Age Latin, (1947), traduit de l’allemand par Jean Bréjoux, Paris, Presses Universitaires de France, 1957, pp. 522-526.
[16] Alonso Víctor de Paredes, Institución y Origen del Arte de la Imprenta, op. cit., fol. 44 verso [texte espagnol : « Assimilo yo un libro à la fabrica de un hombre, el qual consta de anima racional, con que la criò Nuestro Señor con tantas excelencias como su Divina Magestad quiso darle ; y con la misma omnipotencia formò al cuerpo galan, hermoso, y apacible. »]
[17] Ibid., fol. 3 verso-6 recto, citation fol. 4 verso [texte espagnol : « Puso Dios en la prensa su Imagen, y Sello, para que la copia saliesse cõforme à la que avia de tomar (...) y quiso juntamente zalegrarse con tantas, y tan varias copias de su mysterioso Original »].
[18] Alonso Víctor de Paredes, Institución y Origen del Arte de la Imprenta, op. cit. fol. 44 verso [texte espagnol : « un libro perfectamente acabado, el cual constando de buena doctrina, y acertada disposicion del Impresor, y Corrector, que equiparo al alma del libro ; y impresso bien en la prensa, con limpieza, y asseo, le puedo comparar al cuerpo airoso y galan »].
[19] Pour la récusation de l’opposition entre « substantive essence » et « accidentals » et un exemple de l’effet des formes typographiques (format, mise en page, ponctuation) sur le sens, cf. l’étude pionnière de D.F. McKenzie, « Typography and Meaning. The Case of William Congreve », in Buch und Buchhandel in Europa im achtzehnten Jahrhundert, Edited by Giles Barber and Bernhard Fabian, Hambourg, Hauswedell, 1981, pp. 81-125, repris in McKenzie, Making Meaning. « Printers of the Mind » and Other Essays, Edited by Peter McDonald and Michael F. Suarez, S.J., Amherst et Boston, University of Massachusetts Press, 2002, pp. 198-236.
[20] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 601, p. 656 et p. 803, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 280, p. 339 et p. 499 [textes espagnols : chapitre XXV : « Bien haya quien nos quitó ahora del trabajo de desenalbardar al rucio », chapitre XXIX : « Luego subió don Quijote sobre Rocinante, y el barbero se acomodó en su cabalgadura, quedándose Sancho a pie, donde de nuevo se le renovó la pérdida del rucio, con la falta que entonces le hacía », chapitre XLII : « Sólo Sancho Panza se desesperaba con la tardanza del recogimiento, y sólo él se acomodó mejor que todos, echándose sobre los aparejos de su jumento »].
[21] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., pp. 575-576 et pp. 669-670, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., pp. 1233-1235.
[22] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 594,, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 270 [texte espagnol : « Despidióse del cabrero don Quijote y, subiendo otra vez sobre Rocinante, mandó a Sancho que le siguiese, el cual lo hizo, con su jumento, de muy mala gana »].
[23] Francisco Rico, « Historia del texto » et « La presente edición », in Miguel de Cervantes, Don Qujote de la Mancha, op. cit., pp. CXCII-CCXLII etCCLXXIII-CCLXXXVI.
[24] A titre d’exemple magistral, voir Jean Bollack, L'Oedipe roi de Sophocle. Le texte et ses interprétations, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1990, tome I, Introduction. Texte. Traduction, pp. XI-XXI et pp. 1-178.
[25] Cf. à titre d’exemples, Magreta De Grazia and Peter Stallybrass, « The Materiality of the Shakespearean Text », Shakespeare Quarterly, Volume 44, Number 3, 1993, pp. 255-283; Leah S. Marcus, Unediting the Renaissance. Shakespeare, Marlowe, Milton, Londres et New York, Routledge, 1996, and Stephen Orgel, « What Is a Text », in Staging the Renaissance. Reinterpretations of Elizabethan and Jacobean Drama, Edited by David Scott Kastan and Peter Stallybrass, New York et Londres, Routledge, 1991, pp. 83-87.
[26] D. F. McKenzie, Bibliography and the Sociology of Texts, The Panizzi Lectures 1985, Londres, The British Library, 1986, pp. 29-30 (traduction française, D.F. McKenzie, La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Editions du Cercle de la Libairie, 1991, pp. 63-65)
[27] Stephen Greenblatt, « Textual Note », in The Norton Shakespeare Based on the Oxford Edition, Stephen Greenblatt General Editor, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 1997, pp. 738-740 (texte anglais : « Although the version printed here is based on the near consensus among recent textual scholars, Q may provide the most accurate rendition available of the romantic relations in Love’s Labour’s Lost »].
[28] Francisco Rico, « Prólogo », in Miguel de Cervantes Saavedra, Don Quijote de la Mancha, Nueva edición anotada al cuidado de Silvia Iriso y Gonzalo Pontón, Barcelona, Galaxia Gutenberg / Círculo de Lectores, 1998, p. 22 et p. 20 [textes espagnols : « Cervantes revoluciona la ficción concibiéndola no en el estilo artificial de la literatura, sino en la prosa doméstica de la vida » et « El Quijote no está tanto escrito como dicho, redactado sin someterse a las constricciones de la escritura : ni las de entonces, con las mañas barrocas requeridas por los estilos en boga, ni, naturalmente, las nuestras »].
[29] Pour d’autres exemples de ce traitement de l’écrit, en particulier chez Milton, voir D.F. McKenzie, « Speech-Manuscript-Print », in New Directions in Textual Studies, Edited by D. Oliphant and R. Bradford, Austin, Harry Ransom Humanities Research Center, 1990, pp. 86-109, repris in Making Meaning, op. cit., pp. 237-258.
[30] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1358, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1143 [texte espagnol : « yo sé tanto del toscano y me precio de cantar algunas estancias del Ariosto »]. Cf. Maxime Chevalier, L’Arioste en Espagne (1530-1650). Recherches sur l’influence du « Roland furieux », Bordeaux, Institut d’Etudes Ibériques et Ibéro-Américanes de l’Université de Bordeaux, 1966.
[31] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1358, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1143-1144 [texte espagnol : « Yo apostaré una buena apuesta que adonde diga en el toscano piache, dise vuesa merced en el castellano ‘place’, y adonde diga più dice ‘más‘, y el su declara con ‘arriba‘ y el giù con ‘abajo’]. .
[32] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1358, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1144 [texte espagnol : « me parece que el traducir de una lengua en otra, como no sea de las reinas de las lenguas, griega y latina, es como quien mira los tapices flamencos por el revés, que aunque sse ven las figuras, son llenas de hilos que las escurecen y no se veen con la lisura y tez de la haz »].
[33] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1358-1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1144[texte espagnol : « Peroo dígame vuestra merced : este libro ¿imprímese por su cuenta o tiene ya vendido el privilegio a algún librero ? – Por mi cuenta lo imprimo –respondió el autor- y pienso ganar mil ducados, por lo menos, con esta primera impresión, que ha de ser de dos mil cuerpos, y se han de despachar a seis reales cada uno en daca las pajas »].
[34] Fernando Bouza, « ‘Aun en lo material del papel y inpresión’. Sobre la cultura escrita en el Siglo de Gracián » in Libros libres de Baltasar Gracián, Exposición bibliográfica, siendo comisario Angel San Vincente Pino, Saragosse, Gobierno de Aragón, 2001, pp. 11-5O.
[35] Alonso Víctor de Paredes, Institución y Origen del Arte de la Imprenta, op. cit. fol. 43 verso.
[36] Francisco Rico, « Historia del texto », in Miguel de Cervantes, Don Qujote de la Mancha, op. cit., pp. CXCIV.
[37] Ian Michael, « How Don Quixote came to Oxford : the Two Bodleian Copies of Don Quixote, Part I (Madrid : Juan de la Cuesta, 1605) », in Culture and Society in Habsburg Spain. Studies presented to R.W. Truman by his pupils and colleagues on the occasion of his retirement, Edited by Nigel Griffin, Clive Griffin, Eric Southworth, and Colin Thompson, Londres, Tamesis, 2001, pp. 95-120.
[38] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1145 [texte espagnol : « Yo no imprimo mis libros paraalcanzar fama en el mundo, que ya en él soy conocido por mis obras : provecho quiero, que sin él no vale un cuatrín la buena fama »].
[39] Voir, par exemple, les contrats signés entre les libraires parisiens et le traducteur Nicolas de Herberay pour ses traductions de l’Amadis de Gaule en 1540 et 1542 et de Palmerin en 1543 publiés par Annie Parent, Les métiers du livre à Paris au XVIe siècle (1535-1560), Genève, Droz, 1974, pp. 300-304.
[40] Sebastián de Covarrubias Orozco, Tesoro de la Lengua Castellana o Española, (1611), Edición de Felipe C. R. Maldonado revisada por Manuel Camarero, Madrid, Editorial Castalia, 1995, [« Trasladar : Vale algunas veces interpretar alguna escritura de una lengua en otra ; y también vale copiar », p. 933].
[41] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 898, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p.619 [texte espagnol : « una de las mayores (tentaciones del demonio) es ponerle a un hombre en el entendimiento que puede componer y imprimir un libro con que gane tanta fama como dineros y tantos dineros como fama »].
[42] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1145 [texte espagnol : « Bien está vuesa merced en la cuenta ! –respondió don Quijote-. Bien parece que no sabe las entradas y salidas de los impresores y las correspondencias que hay de uno a otros. Yo le prometo que cuando se vea cargado de dos mil cuerpos de libros vea tan molido su cuerpo, que se eFte, y más si el libro es un poco avieso y nonada picante »].
[43] Cf. Ferando Bouza, « Para qué imprimir. De autores, públicos, impresores y manuscritos en el Siglo de Oro », Cuadernos de Historia Moderna, 18, 1997, pp. 31-50.
[44] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1145 [texte espagnol : « Dios le dé a vuesa merced buena manderecha – respondió don Quijote »].
[45] Nous suivons ici la brillante démonstration de Francisco Rico, Visita de imprentas. Páginas y noticias de Cervantes viejo, Discurso pronunciado por Francisco Rico el 10 de mayo de 1996 en ocasión de su investidura como doctor honoris causa por la Universidad de Valladolid, En la casa del lago, 1996.
[46] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1145 [tete espagnol : « Estos tales libros, aunque hay muchos deste género, son los que se deben imprimir, porque son muchos los pecadores que se usan y son menester infinitas luces para tantos deslumbrados »].
[47] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1145-1146 [texte espagnol : « Pasó adelante y vio que asimesmo estaban corrigiendo otro libro, y, preguntando su título, le respondieron que se llamaba la Segunda parte del ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, compuesta por un tal, vecino de Tordesillas. –Ya yo tengo noticias deste libro –dijo don Quijote-. »].
[48] Alonso Fernández de Avellaneda, El Ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, Edición de Fernando García Salinero, Madrid, Clásicos Castalia, 1971. Cf. Edward C. Riley, « Three versions of Don Quijote », Modern Language Review, 68, 1973, pp. 807-819 (traduction espagnole in Edward C. Riley, La rara invención. Estudios sobre Cervantes y su posteridad literaria, Barcelona, Editorial Crítica, 2001, pP. 131-151).
[49] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 883, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 59 [texte espagnol : « el autor de la historia, puesto que con curiosidad y diligencia ha buscado los hechos que don Quijote hizo en su tercera salida, ni ha podido hallar noticia de ellas, a lo menos por escrituras auténticas : solo la fama ha guardado, en las memorias de la Mancha, que don Quijote la tercera vez que salió de su casa fue a Zaragoza, donde se halló en una famosas justas que en aquella ciudad se hicieron »].
[50] Pour l’identification de l’imprimerie visitée par don Quichotte comme étant celle de Pedro Malo, cf. Lluís C. Viada i Llluch, « L’estampa barcelonina d’En Pere i d’En Pau Malo davant de la rectoria del Pi : una conjectura cervàntica », Bulletí de la Biblioteca de Catalunya, IV, 1925, pp. 225-237. Je remercie Manuel Peña de m’avoir indiqué cet article.
[51] C’est l’hypothèse soutenue par Francisco Rico dans Visitas de imprentas, op. cit., pp. 48-49, qui remarque qu’en cette même année 1614, date de parution de la continuation d’Avellaneda, Sebastián de Cormellas a imprimé une nouvelle édition des Obras de Ludovico Blesio.
[52] Cf. Ian Michael, « How Don Quixote came to Oxford », art. cité, p. 97.
[53] Cf. Luis Gómez Canseco, « Introduccón », in Alonso Fernández de Avellaneda, El Ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, op. cit., pp. 29-59, « Pesquisa en torno a Avellaneda. »
[54] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1328-1329, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1110-1111 [texte espagnol : « Por vida de vuestra merced, señor don Jerónimo, que en tanto que traen la cena leamos otro capítulo de la segunda parte de Don Quijote de la Mancha. - Para qué quiere vuestra merced, señor don Juan, que leamos estos disparates, si el que hubiere leído la primera parte de la historia de don Quijote de la Mancha no es posible que pueda tener gusto en leer este segunda ? »].
[55] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., Secone Partie, Chapitre III, pp. 919-927, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit.,pp. 646-656.
[56] Le chiffre est tout à fait plausible puisque entre 1605 et 1615, le livre a eu trois éditions à Madrid (deux en 1605, une en 1608), deux ou trois éditions à Lisbonne en 1605, deux éditions à Valence (toutes deux en 1605 également), deux éditions à Bruxelles (en 1607 et 1611) et une édition à Milan en 1610), cf. Ian Michael, « How Don Quixote came to Oxford », art. cité, pp. 116-117.
[57] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 926, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 655 [texte espagnol : « algunos han puesto falta y dolo en la memoria del autor, pues se le olvida de contar quien fue el ladrón que hurtó el rucio a Sancho, que allí no se declara, y solo se infiere de lo escrito que se le hurtaron, y de allí a poco le vemos a caballo sobre el mesmo jumento, sin haber parecido »].
[58] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 928, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 657 [texte espagnol : « el yerro (está) en que antes de haber parecido el jumento dice el autor que iba a caballo Sancho en el mesmo rucio –A eso,-dijo Sancho- no sé que responder, sino que el historiador se engañó, o ya sería descuido del impresor’].
[59] Jorge Luis Borges, « Magies partielles du « Quichotte », in Borges, Enquêtes, op. cit., pp. 68-69, texte espagnol, « Magias parciales del Quijote », [1952], in Borges, Otras inquisiciones, op. cit., p. 79 [texte espagnol : « ¿Por qué nos inquieta que Don Quijote sea lector del Quijote y Hamlet espectador de Hamlet? Creo haber dado con la causa : tales inversiones sugieren que si los caracteres de una ficción pueden ser lectores o espectadores, nosotros, sus lectores o espectadores, podemos ser ficticios »].
[60] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1132 texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1115 [texte espagnol : « no pondré los pies en Zaragoza y así sacaré a la plaza del mundo la mentira dese historiador moderno, y echarán de ver las gentes como yo no soy el don Quijote que él dice »].
[61] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1129-1130, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1112 [texte espagnol : « la tercera, que más le confirma por ignorante, es que yerra y se desvía de la verdad en lo más principal de la historia, porque aquí dice que la mujer de Sancho Panza mi escudero se llama Mari Gutiérrez, y no llama tal sino Teresa Panza : y quien en esta parte tan principal yerra, bien se podrá temer que yerra en todas las demás de la historia »].
[62] Cf. Edward C. Riley, « Who’s Who in Don Quijote? Or Approach to the Problem of Identity », Modern Language Notes, 81, 1966, pp. 113-130 (traduction espagnole in Edward C. Riley, a rara invención, op. cit, pp. 31-50
[63] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1347, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1131 [texte espagnol : « Bien sea venido el valeroso don Quijote de la Mancha : no el falso, el ficticio, no el apócrifo que en falsas historias estos días nos han mostrado, sino el verdadero, el legal y el fiel que nos describió Cide Hamete Benengeli, flor de los historiadores ; (...) –Estos bien nos han conocido : yo apostaré que han leído nuestra historia, y aun la del aragonés recién impresa »].
[64] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1359, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1146 [texte espagnol : « en verdad y en mi conciencia que pensé que ya estaba quemado y hecho polvos por impertinente »].
[65] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1403, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1194 [texte espagnol : « ‘Mirad qué libro es ese’. Y el diablo le respondió : ‘Esta es la Segunda parte de la historia de don Quijote de la Mancha, no compuesta por Cide Hamete Benengeli, su primer autor, sino por un aragonés, que él dice ser natural de Tordesillas’. ‘Quitádmele de ahí –respondió el otro diablo- y metedle en los abismos del infierno, no lo vean más mis ojos.’ ’¿Tan malo es ? – respondió el otro.’‘Tan malo –replicó el primero-, que si de propósito yo mismo me pusiera a hacerle peor, no acertara’ »].
[66] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1415, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1208 [texte espagnol : « no conocía a don Quijote de la Mancha, que asimismo estaba allí presente, y que no era aquel que andaba impreso en una historia intitulada Segunda parte de don Quijote de la Mancha, compuesta por un tal de Avellaneda, natural de Tordesillas »].
[67] Mateo Alemán, Le Gueux ou la Vie de Guzman d’Alfarache, guette-chemin de la vie humaine, Deuxième Partie, Traduction par Francis Reille, in Romans picaresques espagnols, Introduction, chronologie et bibliographie par M. Molho, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 577, texte espagnol Mateo Alemán, Guzmán de Alfarache, Edición, introducción y notas de Francisco Rico, Barcelona, Planeta, 1983, p. 708 [texte espagnol : « Se mareó Sayavedra ; dióle una calentura, saltóle a modorra y perdió el juicio. Dice que él es Guzmán de Alfarache y con la locura se arrojó a la mar, quedando ahogado en ella »].
[68] Jorge Luis Borges, « Magies partielles du « Quichotte », in Borges, Enquêtes, op. cit., pp. 65, texte espagnol, « Magias parciales del Quijote », [1952], in Borges, Otras inquisiciones, op. cit., p. 76-75 [texte espagnol : « A las vastas y vagas geografías del Amadís opone los polvorientos caminos y los sórdidos mesones de Castilla »].
[69] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1425-1426, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 1220-1221 [texte espagnol : « Iten, suplico a dichos señores mis albaceas que si la buena suerte les trujere a conocer el autor que dicen que compuso una historia que anda por ahí con el título de Segunda parte de las hazañas de don Quijote de la Mancha, de mi parte le pidan, cuan encarecidamente ser pueda, perdone la ocasión que sin yo pensarlo le di de haber escrito tantos y tan grandes disparates como en ella escribe, porque parto desta vida con escrúpulo de haberle dado motivo para escribirlos »].
[70] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1422,, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p.1217 [texte espagnol : « Yo tengo juicio ya libre y claro, sin las sombras caliginosas de la ignorancia que sobre él me pusieron mi amarga y continua leyenda de los detestables libros de las caballerías »].
[71] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1422,, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p.1217 [texte espagnol : « Dadme albricias, buenos señores, de que ya no soy don Quijote de la Mancha, sino Alonso Quijano, a quien mis costumbres me dieron renombre de ‘bueno’ »].
[72] Francisco Rico, « Quexana », Euphrosyne. Revista de Filología Clásica, Volume XXII, 1994, pp. 431-439.
[73] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1422,, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 42 [Texte espagnol : « se vino a llamar ‘don Quijote’ »]]
[74] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1425, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p.1220 [« texte espagnol : « Yo fui loco y ya soy cuerdo ; fui don Quijote de la Mancha y soy agora, como he dicho, Alonso Quijano el Bueno. Pueda con vuestras mercedes mi arrepentimiento y mi verdad volverme a la estimación que de mí se tenía »].
[75] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 409,, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p.35 [texte espagnol : « un hidalgo de los de lanza en astillero, adarga antigua, rocín flaco y galgo corredor »]. Sur l’identité historique ainsi désignée, voir l’essai magnifique de Pierre Vilar, « Le temps du ‘Quichotte’ », Europe, janvier-février 1956, pp. 3-16, repris in Vilar, Une histoire en construction. Approche marxiste et problématiques conjoncturelles, Paris, Gallimard / Le Seuil, Hautes Etudes, 1982, pp. 233-246.
[76] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 411, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 40 [texte espagnol : « fue que le pareció convenible y necesario, así para el aumento de su honra como para el servicio de su república, hacerse caballero andante y irse por todo el mundo con sus armas y caballo a buscar las aventuras y a ejercitarse en todo aquello que él había leído que los caballeros andantes se ejercitaban »].
[77] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 409, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p. 36-37 [texte espagnol : « Quieren decir que tenía el sobrenombre de ‘Quijada’ o ’Quesada’, que en esto hay alguna diferencia en los autores que deste caso escriben, aunque por conjeturas verisímile se deja entender que se llamaba ‘Quijana’’’].
[78] Francisco Rico, « La princeps del Lazarillo. Título, capitulación y epígrafes de un texto apócrifo », in Rico, Problemas del Lazarillo, Madrid, Cátedra, 1988, pp. 113-151.
[79] Peter Stallybrass, « Shakespeare, the Individual, and the Text », in Cultural Studies, Edited, and with an introduction by Lawrence Grossberg, Cary Nelson, Paula A. Treichler, New Tork and London, Routledge, 1992, pp. 593-612; et Random Cloud, « ‘The very names of the Persons’: Editing and the Inventions of Dramatick Character », in Staging the Renaissance: Reinterpretations of Elizabethan and Jacobean Drama, David Scott Kastan et Peter Stallybrass (eds.), New York et Londres, Routledge, 1991, pp.88-96.
[80] Stephen Greenblatt, Shakespearean Negotiations : the Circulation of Social Energy in Renaissance England, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1988. pp. 10-11.
[81] Melchor de Cabrera Nuñez de Guzman, Discurso legal, histórico y polític, op. cit., fol. 23 recto [texte espagnol : « gustô que la escriviessen su nombre en la palma de la mano ; y sacaba las letras de los caxonzillos,, donde la dezían estaban, y las ponía en el componedor »].
[82] Ibid., fol. 23 recto [texte espagnol : »Su Magestad entrò en la Oficina, mandô à los Artifices, no se mudassen de sus puestos, y asientos, sino que continûassen su exercicio en la forma que se hallaban ; y quando llegaba à las Caxas, el rato que se detenia en ver componer, descansaba la mano en el ombro izquierdo del Componedor »].
[83] Cervantès, Don Quichotte, op.cit., p. 1357, texte espagnol Don Quijote de la Mancha, op.cit., p.1143 [texte espagnol : « Llegábasa don Quijote a un cajón y preguntaba qué era aquello que allí se hacía ; dábanle cuenta los oficiales ; admirábase y pasaba adelante »].