L'imprimerie et la librairie lyonnaises au XVIe siècle

Dates: 
Du Vendredi 06 Février 2004 au Samedi 07 Février 2004

 Séminaire international enssib, 6-7 février 2004
Réflexions autour d'un projet de " Baudrier électronique "

En janvier 2003, l’Institut d’histoire du livre et le Department of Typography & Graphic Communication de l’Université de Reading se rencontraient à Reading lors d’un séminaire consacré aux lettres pochoir. Le succès de cette journée incita les participants à pérenniser l’expérience, en privilégiant une approche matérielle des sources de l’histoire de l’écrit et de la communication graphique. Une nouvelle rencontre fut donc organisée à Lyon, à l’enssib, les 6 et 7 février dernier, afin de présenter à nos amis britanniques les ressources de la ville de Lyon dans ce domaine.

Le thème choisi privilégiait l’âge d’or du livre lyonnais, en traitant de l’imprimerie et de la librairie lyonnaises au 16e siècle. Et à la demande des participants, le séminaire " déborda " sur la journée suivante afin de parcourir les réserves du fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon, sous la conduite de son responsable Yves Jocteur Montrozier, ainsi que les collections du Musée de l’imprimerie de Lyon, avec une présentation des bois gravés par Vanessa Selbach (enssib) et d’un choix de livres illustrés du 16e siècle par Ilaria Andreoli (enssib).

En ouverture à la matinée du 6 février, Gérard Morisse (Bordeaux) livra une introduction générale au 16e siècle lyonnais, rappelant l’intense activité économique et intellectuelle de la ville à cette date afin de mettre bien évidemment l’accent sur le commerce du livre. Tirant parti de ses connaissances des archives espagnoles, et notamment des nombreux inventaires et correspondances de libraires lyonnais conservés à Valladolid, il esquissa le paysage livresque de la ville et sa composition, se gardant d’avancer un chiffre quant au nombre de livres publiés à Lyon au 16e siècle : à l’évidence, on l’ignore.

A sa suite, Yves Jocteur Montrozier (BM Lyon) présenta les ressources de la Bibliothèque municipale de Lyon dans le domaine du livre du 16e siècle. Ce fut également l’occasion d’esquisser, à l’intention des proches collaborateurs de l’Institut d’histoire du livre venus de Reading, l’histoire de cette bibliothèque, issue de celle du collège des Jésuites créé en 1565. Préparant la visite du lendemain, Y. Jocteur Montrozier évoqua quelques collectionneurs célèbres et quelques moments forts de l’histoire de la bibliothèque : la personnalité du cardinal de Neuville, archévêque de Lyon au 17e siècle, dont les volumes reliés de maroquin rouge forment un ensemble cohérent aisément repérable dans les magasins ; la confiscation des 42 couvents qui apportèrent 90 000 volumes en 1790 ; l’achat, en 1885, de 600 éditions lyonnaises du 16e siècle issues de l’officine d’Antoine et Sébastien Gryphe ; la collection de Stéphane Maistre, avoué lyonnais collectionneur de livres de la Renaissance et de reliures du Second Empire ; l’apport de l’Académie de Lyon en 1960, qui offrit plus de 300 volumes réunis par Pierre Adamoli ; à partir de 1992, 50 éditions du 16e siècle et un important fonds Nostradamus cédés par Michel Chomarat ; enfin en janvier 1999, 450 000 ouvrages dont 4 000 éditions du 16e siècle provenant du fonds des jésuites de Chantilly. Aujourd’hui le fonds concernant le 16e siècle est donc très riche, non seulement pour le domaine français, mais aussi pour l’aire italienne et allemande.

Gérard Morisse reprit ensuite la parole pour dresser un état de la bibliographie dont on dispose pour le livre lyonnais du 16e siècle, en premier lieu celle qu’Henri Baudrier réalisa à la fin du 19e siècle, poursuivie un siècle plus tard par Sybille von Gültlingen, dont la publication atteint aujourd’hui 8 volumes, mais n’est guère utilisée hors d’Allemagne. L’ouvrage de Baudrier est en outre considérablement enrichi par les travaux épars et non publiés d’historiens, tel Gérard Morisse ou Guy Parguez.

Gérard Morisse, qui a répertorié les livres lyonnais du 16e siècle dans 1 620 bibliothèques, s’interroge sur la manière dont il pourrait mettre à la disposition des chercheurs ses connaissances actuellement consignées sur des fiches papier : sous la forme d’un CD-rom ? Silvio Corsini (Lausanne), pense qu’il serait plus utile de concevoir une base de données " vivante " disponible en ligne et pouvant recevoir d’autres modifications. Cette base pourrait être hébergée sur le site d’une grande bibliothèque.

S’ensuit un débat sur la numérisation du Baudrier, pour laquelle l’enssib avait demandé une étude de faisabilité en 2002. L’idée était alors de numériser l’ouvrage en l’état, mais la Ville de Lyon n’était pas prête à engager le travail. Sur ce point les avis des participants divergent et évoquent en réalité deux perspectives : l’une propose de numériser Baudrier tel qu’il se présente afin de le rendre plus accessible à la communauté des chercheurs ; l’autre songe au traitement électronique des enrichissements apportés à Baudrier, opération intellectuelle de longue haleine.

L’après-midi a été consacré à la présentation de deux expériences de numérisation d’ouvrages du 16e siècle. L’une, exposée par Malcolm Walsby qui en est la cheville ouvrière, émane de l’Université de saint Andrews (Écosse) et se trouve placée sous la responsabilité du professeur Andrew Pettegree . Elle concerne le livre français antérieur à 1601, en langue française et vernaculaire. Depuis le début du projet en 1997 (il doit se terminer en 2007) 45 000 éditions ont été traitées dans plus de 200 bibliothèques à travers le monde.

L’autre est présentée par Jean Guillemain (Université de Haute Alsace) et Nicolas Barbey (Médiathèque de Pau), anciens élèves de l’enssib dont le mémoire de recherche portait sur Debora, projet européen de numérisation de livres du 16e siècle mis en place entre 1999 et 2001. Les intervenants montrent les possibilités intéressantes (et aussi quelques dysfonctionnements) du logiciel mis au point par l’INSA, qui à ce jour n’est pas exploité. À la différence de celui de st Andrews, il s’agit d’un projet pilote. D’autre part, l’objectif du constructeur était de mettre au point un navigateur pour voir des livres, de sorte que l’aspect bibliographique n’a pas été pris en compte. C’est sans doute la raison pour laquelle ce logiciel, en l’état actuel, ne satisfait guère les chercheurs.

Alan Marshall (Musée de l’imprimerie de Lyon) s’interroge sur la possibilité pour les bibliothèques d’envisager la réalisation de tels projets. La réponse est à peu près unanime : s’il y a place dans les institutions pour ce genre de projets, l’obstacle majeur reste le coût, et le temps. Il apparaît donc intéressant de les fédérer.
Odile Blanc