La mise en page du livre scientifique et technique

Dates: 
Jeudi 14 Juin 2001


Compte-rendu de la journée d'étude qui a eu lieu à la Bibliothèque municipale de Lyon, le 14 juin 2001

Dans sa présentation, Frédéric Barbier, responsable de cette journée d'étude, a d'abord rappelé combien la problématique de la « mise en livre », choisie comme thème de cette série de quatre journées organisées en 2001 par l'Institut d'histoire du livre, emprunte au dernier livre d'Henri-Jean Martin tout en s'inscrivant dans une perspective résolument thématique. La séance d'aujourd'hui envisage trois niveaux de développement.

Le premier concerne la définition du sujet lui-même : qu'est ce qu'un livre scientifique ou technique ? L'étymologie rappelle que la science (scientia) désigne l'ensemble des connaissances ; le Moyen Age parle plutôt des arts, et parmi eux des arts de faire ; et c'est au XVIIIe siècle qu'apparaît le concept d'objectivité qui identifie la science à la connaissance exacte, universelle, exprimée par des lois, lui donnant le sens actuel de science exacte.

Un second niveau s'intéresse au classement des livres du point de vue de leur contenu. Divers exemples seront abordés lors de cette journée : la hiérarchie du savoir médiéval, qui privilégie la science théologique, et la construction lente du savoir scientifique qui, jusqu'au XVIIIe siècle, se présente avant tout comme une reconstruction.

Enfin une autre approche concerne la typologie et les diverses possibilités d'interrogation autour de la mise en page de ces livres dont le rôle est de diffuser et produire le savoir.

Marie-Pierre Dion, directrice de la Bibliothèque municipale de Valenciennes, montre à l'aide de nombreux exemples extraits d'un fonds prestigieux comment, à la fin du Moyen Age, la mise en page des livres d'histoire naturelle accompagne la mise en forme de la pensée. Cette époque voit en effet une mutation épistémologique au cours de laquelle l'histoire naturelle se dégage de la médecine, à laquelle elle était jusqu'alors associée, mutation que suit et peut-être aide à formuler la mise en page.

Le besoin d'images, dans ce genre d'ouvrage, n'est pas propre à la période ici envisagée mais existe dès l'Antiquité. En témoignent les pharmacopées ou les exemplaires du Physiologus, ouvrage d'un auteur grec décrivant les monstres de la Bible très répandu au Moyen Age. De même les tables sont présentes dès l'Antiquité, comme on le voit dans les ouvrages de Pline, sous une forme il est vrai différente de celles des manuscrits médiévaux. Il importe enfin de rappeler que le discours de l'histoire naturelle, dans la tradition aristotélicienne, se présente comme un catalogue alphabétique à visée encyclopédique, dans une perspective d'unité du monde. Envisagée en fonction de ces trois composantes, l'évolution de la mise en page connaît trois moments durant la période considérée.

Moment inaugural, le XIIIe siècle se caractérise par le déplacement de la formation intellectuelle des monastères aux universités, et par de nouveaux développements de la pensée aristotélicienne. Les bestiaires, dans lesquels les animaux sont décrits comme des symboles et non comme des espèces proprement dites, témoignaient d'une conception exclusive de la nature comme moyen de parvenir à Dieu. Albert le Grand est le premier à décrire la nature et les animaux en se conformant à l'enseignement d'Aristote. Cette information demeure néanmoins livresque, traditionnelle et non renouvelée, et de fait l'histoire naturelle n'appartient pas au quadrivium. Seules les plantes intéressent la médecine. Thomas de Cantimpré, disciple d'Albert le Grand, propose quant à lui une encyclopédie de la nature intitulée De natura rerum, ouvrage abondamment illustré dans lequel chaque article est orné à son commencement d'une miniature. Les monstres font toujours partie du monde naturel, mais l'image affiche une volonté réaliste plus marquée, en représentant par exemple les géants dans un cadre beaucoup plus grand, jugé plus adéquat à leur nature. Les schémas, quant à eux, s'inspirent davantage de l'observation directe et correspondent mieux aux textes nouveaux, diffusés notamment par les Dominicains. Les rectangles d'écriture sont toujours denses et réguliers, mais de plus en plus rythmés par les images, les lettres ornées, les manchettes et les pieds de mouche. Cette évolution très lente est surtout sensible dans les livres destinés aux laïques, tels les livres de chasse, et les ouvrages de botanique.

La seconde période correspond au passage du manuscrit à l'imprimé. Elle se caractérise par la disparition progressive des préoccupations théologiques et morales au sein de l'histoire naturelle. Si l'on compte 19 éditions incunables de Pline et 15 de Barthélémy l'Anglais, on remarque l'ouvrage pionnier d'Otho Brunsfeld, ouvrage de botanique imprimé avec les illustrations « au naturel » de Hans Weiditz. Dans ce genre de livres les images doivent être préparées avant le texte, de façon à pouvoir s'y insérer aisément, ce qui laisse supposer une étroite collaboration entre auteurs et illustrateurs. Une planche de l'ouvrage de Fuchs, autre grand nom de la botanique contemporaine, représente ainsi les artistes au travail, en train de représenter une plante disposée devant eux. La présence des tables s'observe aussi bien dans les petits livres de pharmacopée, en particulier dans les ouvrages ordinaires tels les herbiers, que dans des livres plus grands, telles les premières éditions de Pline (celle de Nicolas Jenson en 1472 comporte une table des chapitres). Au début du XVIe siècle apparaissent de véritables index, d'abord imprimés séparément puis intégrés aux livres eux-mêmes.

Après 1530 commence une période de synthèse durant laquelle l'architecture du livre se stabilise, et qui se caractérise par une véritable inflation documentaire. On en veut pour preuve l'Histoire des poissons d'Ippolito Salviati, ou encore l'ouvrage de Conrad Gessner, savant philologue qui livra en 4500 pages tout le savoir accumulé jusqu'à lui, avec de nombreuses illustrations d'après ses propres dessins, plusieurs tables justifiant même une "table des tables", et un index polyglotte témoignant de la fascination des mots propre à la Renaissance. Cette oeuvre monumentale demeura inachevée : il n'est plus possible à un homme seul, à cette date, de maîtriser une matière qui est devenue foisonnante. Une nouvelle démarche apparaît, perceptible par exemple dans l'ouvrage de Pierre Belon, premier naturaliste à publier en français. Les volumes, plus petits et par conséquent plus légers, embrassent une matière plus restreinte, sans visée encyclopédique ou synthétique comme précédemment. Les bois sont réutilisés et le coût moindre de ces ouvrages les rend accessibles à un public plus large. Souvent, les images de botanique sont publiées séparément, en albums, avec une simple légende et une liste des noms de la plante (en latin, en grec, etc.). A la fin du XVIe siècle, lorsque les amateurs de jardins et les artistes à la recherche de modèles sont légions, les éditeurs rentabilisent ainsi leur investissement dans ce genre de livres coûteux. L'histoire naturelle a donc joué un rôle majeur dans la curiosité comme dans le développement de la classification et de la mise en livre. Catherine Bousquet-Bressolier, chargée de conférences à l'Ecole pratique des hautes études, étudie les manuels pratiques à l'usage des ingénieurs aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les sciences utiles aux ingénieurs sont les mathématiques, qui comprennent, outre l'algèbre et la géométrie, d'autres savoirs comme la physique, la chimie, l'optique et jusqu'à la pyrotechnie. Ces sciences sont transmises d'une part par des manuels à l'usage des collèges rédigés par des professeurs, d'autre part par des manuels montrant la construction d'instruments. Les premiers évoluent peu dans le temps, car les Jésuites ont mis au point un programme de connaissances amplement diffusé. Les mathématiques interviennent à la fin du cursus, de sorte que tous les collèges ne disposent pas de classe de ce genre, mais peuvent en ouvrir une à la demande expresse d'une personnalité.

Parmi les personnalités à l'origine de cet enseignement, il faut mentionner le père André Tacquet (1612-1660), du collège de Louvain et d'Anvers. Il a formé en particulier le père Verbest à l'observatoire de Pékin. En 1654 il publie les Elementa geometrie praticae, dont C. Bousquet montre un exemplaire portant l'ex-libris de Chasles, le célèbre mathématicien. Ce livre débute par une narration sur les progrès des mathématiques. L'enseignement, tel qu'il est conçu par le père Tacquet, oblige l'élève à se représenter mentalement les choses. De sorte que dans ses livres, les figures sont toutes situées au même endroit, de façon à ce que l'élève ne s'y reporte qu'en cas de besoin : les images tiennent donc une place fort différente de celle qu'elles occupent dans les livres d'histoire naturelle précédemment évoqués. Ce genre de livre, qui joue un rôle important dans l'enseignement jusqu'en 1800, est traduit en anglais au XVIIIe siècle et devient même la base de l'enseignement des mathématiques en Angleterre. Il connaît également une traduction en grec mais jamais en français, l'élite n'apprenant qu'en latin.

Le père Fournier est une autre personnalité insigne de la communauté des jésuites mathématiciens. Il fut le maître de Descartes à La Flèche, et l'auteur d'un Traité des fortifications encore intitulé Architecture militaire, publié en 1649. Ce très petit livre (8 X 10cm) se compose de deux parties, l'une consacrée aux coupes et élévations de places fortes se référant à un atlas, l'autre à cet atlas proprement dit, consistant en une suite de plans. La préface, sorte de traité philosophique sur les buts de la guerre, annonce d'emblée « Que l'exercice des armes est le plus noble emploi de la vie civile ». Suit un développement sur le duel, qui était alors très destructeur parmi la noblesse, et enfin quelques principes pour bien vivre. Cet ouvrage entend enseigner pourquoi et pas seulement comment on fait la guerre.

La deuxième catégorie d'ouvrages ici envisagés s'adresse à un public peu enclin à la lecture. Dans ces livres l'image est alors primordiale et en quantité plus importante que dans les précédents. On peut citer en exemple la Pratique de la géométrie sur le papier et sur le terrain, publié en 1669 à Paris, dans lequel une page illustrée se trouve régulièrement en regard avec une page de texte. Ou encore l'Expérience de l'architecture militaire de Desmartins (1687), ingénieur ordinaire du roi, dans lequel le nom du dédicataire est tracé avec des lettres en forme de trophées militaires, particularité qui rapproche ce genre de livres des livres d'emblèmes. En 1693, la Méthode de lever les plans et les cartes de terre et de mer de Jacques Ozanam, mathématicien qui s'intéresse également aux instruments et à leur pratique, est aussi composé comme un livre d'emblèmes, une page de texte se trouvant toujours en regard avec une page illustrée. Notons au passage que ce livre représente pour la première fois des instruments.

Destiné à la formation des élites et s'adressant en priorité à une élite d'officiers et de grands bourgeois, l'enseignement des Jésuites sert de modèle pour d'autres écoles de ce genre, par exemple l'École des Ponts et Chaussées, créée en 1747, ou celle du Génie à Mézières l'année suivante. Mais l'enseignement donné dans ces grandes écoles ne suffira pas au besoin de former des ingénieurs dans l'urgence, situation née de la guerre de Sept ans. D'où le développement de traités pratiques qui trouveront ensuite, la paix retrouvée, un usage civil. Les ingénieurs employés à la guerre se reconvertissent en effet dans l'aménagement du territoire et la géographie, préoccupations originellement militaires.

Marcel Watelet, directeur du cybercentre au Ministère de l'équipement et des transports de Wallonie, initialement non prévu dans le programme de cette journée, a accompagné la communication de C. Bousquet par une brève présentation de l'iconographie du bélier hydraulique de Joseph Montgolfier (1795-1825), analysant les rapports entre la description, très détaillée, et les illustrations dans un exemple particulièrement documenté d'ouvrage technique. Jean-Pierre Vittu, professeur à l'Université d'Orléans, s'interroge sur la nature d'un article au Journal des Savants. La création de périodiques savants, en France et en Angleterre, remonte au milieu du XVIIe siècle. Le Journal des Savants naît en 1665, et ses premières années, jusqu'en 1714, ont fait l'objet de la thèse de J.P. Vittu, qui en reprend ici certaines analyses. L'article est avant tout un élément d'une composition séquentielle. C'est ce que révèle l'examen de l'avis au lecteur qui expose le programme du journal, dans lequel on trouve, après l'éloge des personnalités disparues du monde scientifique, la présentation des inventions et des livres nouveaux. Ces parties impliquent deux styles de rédaction fort différents, le mémoire pour la rubrique nécrologique et l'extrait pour la présentation des livres.

Si les travaux des rédacteurs n'ont guère laissé de traces, on conserve cependant des lettres qui nous renseignent sur la manière dont ils envisageaient leur collaboration et la présentation du journal. Une lettre de l'abbé Gallois, second rédacteur du journal entre 1666 et 1674, à l'historiographe de France Denis de Godefroy, définit ainsi l'extrait : ce qu'il y a dans le livre, ce qu'on peut en tirer, s'il y a d'autres livres sur le même sujet et si ceux-ci lui sont antérieurs. L'abbé Laroque prend la suite de Gallois jusqu'en 1687. On conserve de lui, par l'intermédiaire d'un polygraphe collectionneur de lettres, un brouillon rédactionnel qui donne une idée du toilettage fait dans la présentation d'un ouvrage. Deux possibilités s'offrent au rédacteur : l'abrégé ou le choix d'un passage mettant en valeur les qualités de l'auteur, dont il s'agit de « donner les beautés » de façon plus ample. Dans ce dernier cas l'agrément au lecteur, voire l'aspect mondain de la présentation, est privilégié par rapport au souci de donner une information utilitaire. L'abbé Laroque inaugure ainsi une nouvelle conception du journal.

Par ailleurs se développent les réunions de rédacteurs qui préfigurent les modernes comités de rédaction. La première réunion de ce genre, à laquelle participe Laroque, a lieu en 1687 et travaille jusqu'en 1693, date à laquelle elle se dissout, sans doute en raison de rivalités de personnes. Son fonctionnement place au centre du journal les journalistes, et autour des cercles qui désignent les intermédiaires chargés de faire transiter jusqu'au journal des textes reconnus dans la République des Lettres. De sorte que le bureau rédactionnel, au sens actuel du terme, est constitué bien avant son existence officielle. En 1675 Laroque introduit une bibliographie, qui se présente comme une liste des ouvrages dont on a parlé dans l'année, classés par rubriques – dont l'évolution est des plus intéressante à étudier. Les tables annuelles, nées en 1666, sont constamment présentées jusqu'à l'apparition de ce qu'on appellerait aujourd'hui un index, c'est-à-dire une table des matières selon les idées. Les tables récapitulatives sont le troisième instrument du journal. La première, d'environ 700 pages, concerne la « France savante » et paraît en 1683 à Amsterdam. La seconde est publiée à Paris par l'abbé de Claustres et comprend dix volumes. L'indexation porte sur les noms d'auteurs et les matières dans la perspective des dictionnaires encyclopédiques. La troisième paraît à nouveau à Amsterdam, réalisée par Robinet, avec des entrées auteur et matière mêlées. Ces trois tables induisent trois types de travaux, suivant que l'auteur est un lexicographe, un bibliographe ou un pédagogue. Enfin l'article au sens actuel de partie d'un périodique, est attesté depuis 1711, soit bien après les débuts du journal. Au terme de cet exposé, pour les rédacteurs du Journal des Savants, l'article implique le fonctionnement éditorial particulier qui vient d'être évoqué, qui n'est pas tout à fait celui d'un bureau actuel, mais dans lequel interviennent, tout comme de nos jours, des pratiques d'authentification et de validation. Nicolas Hacquebart-Desvignes, doctorant à l'École pratique des hautes études, présente les livres d'art militaire français au XVIIIe siècle suivant leur contenu, en choisissant pour chacun des "genres" exposés un exemple précis. Ainsi la poliorcétique, qui se définit comme l'art des sièges autrement dit la prise et la défense de places et de forteresses, est illustrée par l'ouvrage de Leblond, Éléments de la guerre des sièges, publié en 1743 – avec une table des articles en tête de l'ouvrage. La cavalerie, qui se subdivise en régiments, eux-mêmes constitués de deux ou trois escadrons de deux à quatre compagnies chacun, est représentée par l'ouvrage de La Guérinière intitulée L'École de cavalerie, paru en 1733. Ces ouvrages étant pour la plupart destinés à des bibliothèques nobiliaires, leur ornementation est très soignée, ainsi que leur dédicace. L'artillerie, considérablement diversifiée à l'occasion des guerres de Louis XIV, s'illustre par exemple par le Nouveau cours de mathématiques à l'usage de l'artillerie, par Bernard Forest de Bélidor, publié à Paris en 1725. Il faut également mentionner la tactique et surtout la marine, avec l'ouvrage de Lescallier, Vocabulaire des termes de marine. N. Hacquebart-Desvignes présente ici la seconde édition, publiée à Londres en 1783, dans laquelle les termes techniques sont présentés en italique, sous la forme d'un dictionnaire, avec des illustrations rejetées en fin de volume. Enfin les mines sont représentées par un ouvrage de 1790 intitulé Théories et pratiques des mines. Il s'agit d'un manuscrit in-folio contenant huit textes et 112 planches coloriées. En conclusion, ces manuels ou traités présentent différentes manières de faire davantage qu'ils ne proposent une méthode spécifique. La mise en page reflète bien la destination de ces livres, à la fois didactique et d'apparat. Béatrice Bouvier, boursière de la Fondation Thiers, présente un panorama des rapports entre texte et image dans le livre d'architecture à son âge d'or, le XIXe siècle. En 1487-1488 paraît en allemand l'ouvrage de Roritzer, aujourd'hui conservé à Würzburg, premier livre de modèles architecturaux non vitruviens. A ses débuts, le livre d'architecture est un livre scientifique proche des livres d'anatomie, présentant invariablement un bâtiment en plan, coupe et élévation. Beaucoup plus tard, l'ouvrage de Palladio sur l'architecture de Byzance, paru en 1741, revient aux ordres classiques. Le plus souvent ces livres sont édités par les auteurs eux-mêmes ou mieux encore par des éditeurs qui sont aussi de grands négociants – ainsi à Lyon. Le milieu dans lequel naît le livre d'architecture, sa diffusion et son public, demeurent en grande partie méconnus bien que l'on connaisse le rôle des grands libraires parisiens tels Jérôme Marnoeuf ou Didot, le marchand d'estampes Mariette, ou encore Guillaume Rouillé à Lyon. Cela tient sans doute au fait que les historiens de l'art et de l'architecture se sont penchés sur les traités théoriques en laissant de côté leur mise en livre et leur diffusion. En 1994, une exposition sur une importante collection d'architecture à la Bibliothèque Saint-Charles de Marseille attire l'attention sur ces fonds, entrés dans les bibliothèques municipales après les confiscations révolutionnaires et la constitution du dépôt légal. Les traités d'architecture vont souvent de pair avec les livres de voyage qui proposent des vues de sites et de monuments. Ainsi un exemplaire du Voyage en Italie contient-il une caricature représentant le voyageur rentrant « la tête pleine de monuments ».

Le XIXe siècle est l'âge d'or du livre d'architecture, avec une production importante et diversifiée nourrie des livres de voyages mais suscitant de nouvelles interrogations. Les travaux des archéologues, en particulier, font reculer l'antiquité hors des limites des mondes grecs ou romains : on découvre ainsi Pompéi et les Étrusques. La presse architecturale naît également au XIXe siècle, se multiplie sous la Monarchie de Juillet mais est finalement assez éphémère, hormis la revue générale d'architecture et des travaux publics née en 1840. L'Encyclopédie d'architecture paraît de 1850 à 1862, puis réapparaît dix ans plus tard avec à sa tête, de 1872 à 1874, Viollet-le-Duc. L'engouement pour le patrimoine national jettent les architectes sur les routes de France à la recherches des monuments français. Paraissent ainsi l'ouvrage de Jules Gaillabeau sur l'architecture du Ve siècle, et le Dictionnaire raisonné du mobilier français de Viollet-le-Duc. L'évolution suivante voit le livre d'architecture devenir progressivement un catalogue de modèles, depuis les Modèles de maisons de campagne allemande d'Arthur Goebel, publié en 1891, qui donne des conseils pour construire et habiter sa maison, jusqu'aux modèles de Le Corbusier en 1938. B. Bouvier conclut ce panorama en définissant le livre d'architecture comme un livre scientifique qui outrepasse sa nature originelle pour être aussi, comme on en voit de nombreux exemples aujourd'hui, un livre d'art et de décoration. Philippe Castellano, maître de conférences à l'Université de Rennes 2, a choisi de présenter la vulgarisation scientifique et technique dans une entreprise éditoriale espagnole du début du XXe siècle, l'Enciclopedia Espasa. Cette publication, qui comporte 82 volumes parus entre 1907 et 1933, se définit elle-même comme « universelle, illustrée, européenne et américaine ». A l'image du Larousse en France, cette encyclopédie se présente comme un véritable lieu de mémoire de la société espagnole.
Le fondateur, José Espasa, a racheté les droits d'exploitation du grand imprimeur éditeur allemand Brockhaus et Meyer, et continue d'imprimer à Leipzig et Berlin avant de ramener la production à Barcelone. Les auteurs sont recrutés dans le milieu littéraire de l'époque, et bien que les articles ne soient pas signés on évalue à environ 700 le nombre des collaborateurs. La présentation des volumes est austère : pas ou très peu d'ornements, une typographie très dense, deux colonnes pour tous les types d'articles. Les listes bibliographiques sont particulièrement intéressantes pour connaître les connaissances qui circulent alors en Europe, et l'on voit progressivement la médiation française céder la place à l'Allemagne. Les articles scientifiques et techniques suivent tous le même plan : après avoir rappelé l'histoire de l'invention, à la manière des pavillons rétrospectifs des expositions universelles, ils présentent les inventions du moment et les différents points de vue qui circulent alors à son sujet. Le public cible étant très restreint, l'illustration apparaît comme un moyen pour l'élargir, d'autant qu'au même moment et dans la même ville de Barcelone, trois encyclopédies voient le jour. La diffusion se fait par fascicules et recourt à la publicité. Les appuis institutionnels sont garantis par l'achat de l'encyclopédie par les bibliothèques, la déclaration d'utilité publique par le roi puis le pape, caution très importante en Espagne. Le fait que plus du quart des rédacteurs soient des ecclésiastiques témoigne de la volonté de l'Église d'accompagner ce mouvement. P. Castellano présente plusieurs exemples de pages de l'encyclopédie Espasa afin de montrer la manière dont s'organise la mise en page de ces textes, et partant la vulgarisation du savoir qu'ils ont à charge de transmettre. Pour l'entrée « Acier », par exemple, on retrouve le texte sur deux colonnes, des schémas classiques, des tableaux statistiques, des clichés en regard d'une page de texte. Ils représentent l'usine Krupp et des modèles d'usines de la fin du XIXe siècle. D'autres photographies montrent des machines allemandes, vraisemblablement tirées d'un catalogue d'entreprise. Ces machines, isolées de tout contexte, témoignent d'un optimisme dans le progrès scientifique et technique qui ignore les conflits sociaux. On trouve également des planches en couleur, en pleine page. L'une, par exemple, représente des criquets en vol, au sol, dévastant le paysage, dans une suite qui évoque le cycle de la vie. Une autre consacrée aux algues montre un fond sous-marin avec un requin et des coquillages, dans une intention manifeste de faire rêver le lecteur. Une autre enfin, dédiée au rhinocéros, montre le dessin à la plume de Dürer et la gravure – également choisie pour la plaquette de présentation de cette journée d'étude –, une photographie des premiers safaris en Afrique, et la quadrichromie d'un rhinocéros en train de boire. Dans cet exemple, toutes les illustrations possibles sont accumulées non seulement dans le but d'informer mais aussi de faire rêver. Comme le dit un proverbe espagnol, l'encyclopédie Espasa dit tout, et s'adresse par conséquent à un lectorat polymorphe, en recourant au plus grand nombre de moyens et d'accroches possibles par l'image. Cette publication est à la fois un musée, un conservatoire de la société espagnole de l'époque, et un hymne à la modernité qui mêle l'aspect didactique (la science utile) et l'aspect ludique (apprendre en s'amusant). Jean-Marc Quilbé est éditeur, directeur de la revue EDP Sciences. Il a choisi de nous retracer l'histoire de la présentation du Journal de physique théorique et appliquée, dont le tome 1er paraît en 1872, et qui est aujourd'hui publié par EDP Sciences sous le titre The European physical journal, l'anglais étant devenu la langue majoritaire depuis 1984. Le journal est créé en 1872 par un professeur de physique, Joseph Charles d'Almeida (1822-1880), qui entendait revivifier l'enseignement après la guerre de 1870. Un an plus tard apparaît la Société française de physique, reconnue d'utilité publique en 1883 et qui existe toujours. D'autres journaux du même genre existent : les Compte-rendus de l'Académie des sciences, toujours actuel, ou encore les Annales de chimie et de physique. Depuis 1989, le journal de physique est en progression exponentielle par rapport au nombre de signes. Jusqu'en 1997, la publication comprenait douze fascicules par mois et un tome annuel, dix tomes constituant une série, une table des matières et un index des auteurs annuels. Depuis 1998 sont publiés 12 ou 24 fascicules par an suivant la série envisagée.

L'histoire de la présentation de cette revue peut se diviser en plusieurs périodes. De 1872 à 1923 ; de 1924 à 1998 où apparaît le texte scientifique moderne, qui utilise notamment un résumé en début d'article et rejette les références en fin d'article ; depuis 1998 enfin où la présentation actuelle s'est définitivement stabilisée. L'usage de cette revue a également changé : les articles publiés sont déjà pré-publiés et disponibles sous forme électronique, de sorte que la revue ne propose pas de nouveauté à proprement parler, comme c'était le cas à ses débuts, mais valorise les travaux des chercheurs, aspect peu mis en valeur jusqu'à présent. La conclusion de cette journée d'étude revient à Michel Blay, directeur de la recherche à l'École normale supérieure de lettres et sciences humaines. Il relève en particulier, outre l'intérêt suscité par l'image du rhinocéros, le fait que l'on n'ait pas parlé du symbole mathématique et en particulier de l'apparition de nouveaux symboles susceptibles de changer la mise en page. Il serait pourtant intéressant de connaître l'attitude des savants sur ce point.

Programme de la journée qui a eu lieu à la Bibliothèque municipale de Lyon, le 14 juin 2001

10h15
Accueil des participants
Patrick Bazin
directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon

Présentation de la journée
Frédéric Barbier
professeur d’histoire du livre à l’Enssib, directeur d’études à l’École pratique des hautes études

10h30
L’histoire naturelle en livres (XIIIe au XVIe siècle)
Marie-Pierre Dion
directeur de la Bibliothèque municipale de Valenciennes

11h10
Manuels pratiques à l’usage des ingénieurs (XVIIe et XVIIIe siècles)
Catherine Bousquet-Bressolier
chargée de conférences à l’École pratique des hautes études

11h50
Qu’est-ce qu’un article au Journal des Savants?
Jean-Pierre Vittu
professeur à l’Université d’Orléans

12h30 : Déjeuner libre

14h00
Les livres d’art militaire français au siècle des Lumières
Nicolas Hacquebart-Desvignes
doctorant, École pratique des hautes études


14h40
Le texte et l’image dans le livre d’architecture au XIXe et XXe siècles
Béatrice Bouvier
boursière de la Fondation Thiers

15h20
La vulgarisation scientifique et technique dans L’Enciclopedia Espasa
Philippe Castellano
maître de conférences à l’Université de Rennes 2

16h00
Pause

16h20
Le Journal de physique hier et aujourd’hui
Jean-Marc Quilbé
éditeur, directeur de EDP Sciences

17h00
Conclusion
Michel Blay
directeur de la recherche à l’École normale supérieure,
lettres et sciences humaines (Lyon)